22 novembre 2024
2 avril 2019
La loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une a intégration réussie » du 10 septembre 2018 a réformé un certain nombre de points relatifs au séjour des étrangers. Dans une instruction du 28 février 2019, publiée le 4 mars 2019, le ministère de l’Intérieur reprend les dispositions entrant en vigueur au 1er mars 2019.
Il s’agit notamment de la procédure de double demande Asile/Séjour, des titres de membre de famille de réfugiés, de l’évolution de la procédure d’obtention de titre de séjour pour parent d’enfant français. Un grand nombre de ces dispositions font une nouvelle fois reculer le droit des personnes étrangères et va nécessairement être source de difficulté pour les étrangers qui verront leur accès au séjour réduit tout en ayant un impact important sur la précarisation de leur situation sociale et administrative.
La réforme de 2018 a réduit considérablement la possibilité pour les personnes déboutées de la demande d’asile de bénéficier d’une régularisation liée au séjour. Jusque-là, aucun délai n’était prévu par la réglementation pour bénéficier d’un autre droit au séjour. La loi de septembre 2018 introduit une restriction importante puisque désormais, le délai pendant lequel le demandeur d’asile devra déposer la demande est fixé à 2 mois et 3 mois pour un titre d’étranger malade à partir de l’enregistrement au GUDA. (Article D311-3-2 CESEDACESEDACode de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
L’instruction des dossiers sera réalisée par la préfecture après le rejet OFPRA ou CNDA. Une OQTF asile/séjour unique et globale sera ainsi notifiée visant les deux types de procédures. La priorité d’instruction sera donnée par les préfectures aux demandeurs d’asile en procédure accélérée qui se verront notifiés d’une OQTF dès le rejet OFPRA.
L’instruction du 28 février 2019 développe les possibilités d’introduire une demande hors délai qu’en cas de circonstances nouvelles.
L’interprétation de ces « circonstances nouvelles » est laissée à l’appréciation des préfectures.
Concernant les victimes de traite des êtres humains, le dépôt de plainte après le délai de deux mois est considéré comme une circonstance nouvelle justifiant l’instruction de la demande.
Concernant les étrangers malades, cette circonstance est entendue comme « la survenance d’une pathologie » par exemple. Dans ce cas, le préfet ne pourra pas exiger de documents qui mentionneraient des informations relevant du secret médical mais invitera le demandeur « à justifier des circonstances nouvelles par tout autre moyen ». Cette dernière précision sera bien évidemment difficile à obtenir, sachant que cette interprétation ne sera même pas appréciée par un médecin mais par un agent préfectoral.
Autre difficulté : pour la demande « étrangers malades », il sera nécessaire de justifier d’une « résidence habituelle en France » à la date de la décision (et non pas à la date de la demande) pour non seulement bénéficier du titre ou de la protection contre l’éloignement car les étrangers malades ne peuvent être expulsés du territoire français.
Cette disposition sur la résidence habituelle restreint considérablement les situations ou les personnes pourront se prévaloir de cette possibilité de régularisation ou de la protection au titre de l’éloignement, notamment pour les procédures accélérée de la demande d’asile.
Il est important de préciser que ces délais ne sont pas applicables aux demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin (L311-6 CESEDACESEDACode de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
Le décret du 27 février 2019 restreint également la durée pendant laquelle, en dehors de la procédure de double demande, l’étranger qui sollicite un droit au séjour pour étranger malade dispose d’un délai d’un mois après enregistrement de sa demande en préfecture pour envoyer le certificat médical à l’OFIIOFIIOffice français de l’immigration et de l’intégration.
Ces délais très contraints seront préjudiciables aux étrangers qui n’auront pas été suffisamment informés de leur droits au GUDA à travers la seule « remise d’une information écrite dans une langue que la personne est susceptible de comprendre » et qui devront, dans ces délais contraints, non seulement connaître la procédure mais également obtenir un suivi régulier. Cette prise en charge et ce suivi restent parfois très long à obtenir auprès des professionnels de santé dans certains territoires. Les certificats médicaux ainsi demandés risquent donc d’arriver en dehors des délais prévus par la loi, sans possibilité pour les étrangers de refaire une demande, sauf circonstances nouvelles. Ces personnes étant protégées par l’expulsion, elles ne pourront néanmoins bénéficier d’une régularisation qui permettrait de stabiliser leur situation sociale et médicale.
La loi exige désormais que la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant pour bénéficier de la régulation au titre de parent d’enfant français soit étendue au parent français pour la régularisation de l’autre parent.
Ceci va notamment poser problème sur les parents séparés, dont le parent étranger n’a plus de lien avec l’autre parent. L’instruction précise ces situations et exige pour cela une décision de justice relative à l’entretien et à l’éducation de l’enfant par l’auteur de la reconnaissance.
Cette exigence est particulièrement attentatoire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
En cas d’absence de preuve de l’autre parent, ce sont les préfectures qui devront apprécier au cas par car, en fonction de « l’ancienneté de la présence en France, de sa bonne foi, de la situation au regard de la scolarité de l’enfant, des conditions de séjours, des liens tissés en France ET des attaches dans le pays d’origine ». Ceci est un grave recul pour les droits de l’enfant sur lequel le défenseur des droits s’est d’ailleurs déjà prononcé.
En effet, le Défenseur des droits considère que cette nouvelle condition est critiquable à plusieurs égards :
– Elle nie la réalité des parcours de vie, notamment lorsque des mères et des enfants se retrouvent isolés en raison de l’abandon par le père ou de violences familiales ;
– Il ne parait conforme ni à l’intérêt supérieur de l’enfant ni au droit au respect de la vie privée et familiale de la mère de reprocher à cette dernière de ne pas avoir maintenu les liens avec le père de l’enfant, notamment lorsque cette situation est indépendante de sa volonté, c’est-à-dire quand elle résulte du comportement du parent français.
– Considérer que l’absence d’intérêt du père pour l’enfant est un motif de non admission au séjour conduit à fragiliser davantage encore les personnes les plus vulnérables, à savoir des femmes étrangères, en situation irrégulière, célibataires et élevant seules leurs enfants du fait d’un père défaillant. Cela apparait en outre entrer en contradiction avec le droit au renouvellement du titre de séjour des victimes de violences conjugales et familiales malgré cessation de la communauté de vie.
– Elle induit un risque réel de discrimination en raison de la nationalité : le Défenseur des droits a eu connaissance de notes préfectorales identifiant les personnes « suspectes » en fonction de leur nationalité ;
– Le fait d’être reconnu par une personne qui n’est pas son parent, voire de demander à quelqu’un de reconnaitre un enfant qu’on sait ne pas être le sien pour des raisons purement migratoires, n’est pas une infraction. L’administration lorsqu’elle constate la fraude sans passer par le juge judiciaire exerce une répression non pas sur l’auteur de l’infraction – le père – mais su la mère et, par voie de conséquence, sur l’enfant.
Si la loi prévoit la possibilité de produire une décision de justice relative à la contribution à l’éducation et à l’entretien de l’enfant pour apporter la preuve qu’il remplit cette condition, cela ne saurait suffire à couvrir l’ensemble des situations. Solliciter une décision de justice impose par ailleurs des démarches contentieuses lourdes pour ces personnes ». Avis 18-14 du Défenseur des Droits, 17 mai 2018.
La loi a fait évoluer l’accès aux titres de séjour des membres de familles des bénéficiaires d’une protection internationale et apatrides. En effet, si une entrée régulière sur le territoire français leur était imposée avant la réforme pour être régularisé, il leur est désormais octroyé de plein droit une carte de résident ou une carte-pluriannuelle sans imposer une condition de régularité de séjour. Cette délivrance n’est effective que pour les demandes à partir du 1er mars.
Des dispositions sont prévues pour les membres de familles qui disposaient d’un titre avant le 1er mars pour leur permettre néanmoins d’accéder à la carte pluriannuelle et la carte de résident lors du renouvellement de leur titre de séjour.
L’instruction exige néanmoins toujours la preuve de document d’état civil pour les membres de familles, ce qui continuera toujours à poser problème pour beaucoup de parents d’enfants de réfugiés sans documents d’identité qui sont arrivés en situation irrégulière sur le territoire français, mais qui, fautes de document d’états civils ne pourront se voir régularisé.
La loi prévoit une nouvelle possibilité de régularisation exceptionnelle pour les membres des communautés Emmaüs et des unions interrégionales des lieux à vivre.
Certaines conditions doivent être remplies, notamment « justifier de trois années d’activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d’intégration, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».
La Fédération continuera à se mobiliser pour la défense du droit des demandeur.se.s d’asile et des étrangers que la mise en œuvre de ces dispositions condamne à maintenir dans des situations d’extrême précarité. Merci de nous faire remonter tout élément qui pourrait nous permettre de suivre ces nouvelles dispositions.
Marion Lignac, Chargée de mission « Réfugié·e·s migrant·e·s »
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