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6 juin 2024

[Tribune] Ne cassons pas des décennies de construction commune réussie pour l’emploi

Des centaines de milliers d’emplois d’intérêt général menacés aujourd’hui dans l’insertion par l’activité économique

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Partout en France, plus de 4600 Structures de l’Insertion par l’Activité Économique (SIAE)[1], portées majoritairement par des associations loi 1901, assument les objectifs assignés de la politique publique d’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi sur des activités à forte valeur ajoutée pour les personnes et les territoires.

Si la Cour des comptes[2] a jugé en 2019 très positive l’action des SIAE, aujourd’hui, du fait d’une accumulation de contraintes externes, leur modèle social et économique est de plus en plus fragilisé, voire intenable.

Dans le contexte dit de « consolidation budgétaire », les modalités opérationnelles de la loi Plein Emploi se débattent en ce moment sans que le sort de l’IAE ne soit clairement tranché. Un projet de “feuille de route” appelant à faire mieux à moyens constants est proposé par la ministre Catherine Vautrin. Les fédérations et réseaux de l’IAE signataires de cette tribune souhaitent donc alerter sur cette accumulation de difficultés pour un secteur capital pour l’atteinte du plein emploi solidaire.

Nous souhaitons rappeler les réalités vécues par les SIAE et les moyens dont elles devraient bénéficier pour jouer leurs spécificités méritoires dans la politique du pays.

Les structures de l’Insertion par l’activité économique, une action citoyenne incomprise de la politique du plein emploi, pourtant au cœur d’une stratégie de relance

Les SIAE ont été créées par des citoyen-n-es organisé-e-s depuis plus de quarante ans pour répondre à l’enjeu de l’insertion socio-professionnelle des personnes éloignées durablement de l’emploi dans un contexte de chômage de masse. Il s’agissait de montrer que ces personnes pouvaient mobiliser des ressources dès lors qu’elles étaient accompagnées dans la durée et sur des activités à dimension professionnelle et/ou commerciale. Ces structures ont déployé de nombreuses activités innovantes notamment pour la transition écologique et sociale (espaces verts, réemploi, rénovation, agriculture, mobilité, etc.). Elles ont su évoluer en fonction de leurs publics et des attentes de l’action publique au gré des contextes économiques.

L’investissement public s’avère positif quand on sait que 1€ investi dans l’insertion rapporte à minima 5€ de retombées sur les territoires (évaluation CHANTIER école sur les ACI), sans compter la valorisation du bénévolat mobilisé.

Ainsi, à partir de 2020 et des conséquences de la crise du COVID, le gouvernement a fait appel aux associations de solidarité pour apporter une réponse immédiate aux besoins essentiels de la population et développer celle-ci structurellement. Les SIAE se sont mobilisées nationalement pour créer des postes d’insertion au service des défis à relever. Des investissements importants de l’Etat les ont accompagnées pendant deux ans. Parce que ce sont des structures à dimension entrepreneuriale, elles ont pris des risques importants, mobilisant de l’endettement pour leur appareil productif de façon à pouvoir accueillir plus de salariés en parcours d’insertion et s’assurer des équilibres de gestion sur le long terme avec de nouveaux recrutements permanents.

En 2023, l’arrêt des financements de nouveaux postes en insertion et d’investissements[3] a mis les structures dans une situation très délicate au moment même où celles-ci devaient sécuriser leurs engagements. Aucune entreprise ne peut piloter des investissements à l’aveugle des logiques budgétaires des financeurs demandeurs de ce développement structurel. A titre d’illustration, comme le montre l’observatoire économique et social de la branche (Synesi 2023)[4], les Ateliers et Chantiers d’Insertion voient leurs situations financières se dégrader fortement avec des répercussions immédiates sur leur capacité productive et d’accompagnement social.

Des fonds européens aux financements publics nationaux et locaux, la situation est dégradée au regard de missions toujours plus importantes

Le budget global de l’IAE en France s’élève à 1,5 Mds d’euros[5] pour près de 300 000 salariés accompagnés chaque année de plus en plus éloignées de l’emploi. Alors que la dynamique du « plein emploi » reste fragile, ce travail social est d’autant plus indispensable qu’il permet de concrétiser l’engagement de la société, de l’Etat, pour de véritables parcours d’insertion accompagnés. Il évite ainsi la tentation injuste d’une individualisation des responsabilités face au chômage de longue durée.

En 2024, les SIAE voient leurs aides au poste désindexées des revalorisations du SMIC et ne peuvent plus faire appel aux fonds d’investissement spécifiques (FDI), tout cela dans un contexte inflationniste qui pèse lourdement sur leurs budgets. A cela s’ajoute également un risque de perte de chance pour les salariés en parcours de bénéficier d’une formation, puisque l’enveloppe du Plan d’Investissement dans les Compétences IAE s’est vue amputée de 10 millions d’euros par la stratégie d’économie du gouvernement.

L’Etat nous dit qu’il n’a plus de moyens nouveaux à mettre sur la table des négociations avec les Départements alors que ceux-ci doivent légalement co-financer les postes des bénéficiaires du RSA accompagnés dans les structures d’insertion. Les Conseils Départementaux désarticulent, pour certains, leurs financements et remettent en cause les équilibres nationaux de la politique publique. Les Régions et les EPCI n’ont pas d’obligations légales et sont donc libres de leurs financements, ajoutant une grande hétérogénéité de situations sur le financement inter collectivité des différentes structures de l’IAE actrices du développement économique et social local.

Enfin, si les fonds structurels européens sont mobilisés pour 84 millions d’euros annuels en co-financement des missions sociales des SIAE, celles-ci subissent la baisse de 10% globale de ces enveloppes pour la France, ce qui se traduit parfois par des baisses substantielles de moyens au local (jusqu’à – 50%). En effet, après une mise en route tardive et chaotique de la nouvelle programmation, les nouveaux « organismes intermédiaires » du Fonds Social Européen, en particulier les Conseils Départementaux, interviennent de façon très différente sur les dotations aux SIAE pour des missions et volumes parfois similaires. Des associations apprennent ainsi, rétroactivement, qu’elles vont être amputées de centaines de milliers d’euros en cours d’année, créant de facto une situation de crise budgétaire souvent insoutenable.

Des SIAE dans la quadrature du cercle ?

Ainsi, par injonctions des différents pouvoirs publics, parfois contradictoires, et avec de moins en moins de fonds par structure, les SIAE doivent renforcer leurs accompagnements, recruter des personnes de plus en plus éloignées de l’emploi tout en en développant une part marchande d’auto-financement croissante, ce qui peut les éloigner de leurs missions sociales…

Ces demandes d’évolution de leurs modèles économiques « rationalisés » ou « consolidés » ne sont pas coordonnées et, surtout, pas accompagnées dans le temps alors même que les structures sont en gestion de phase de croissance attendue deux ans auparavant par l’Etat. Ces demandes pressées, voire brutales, n’ont souvent pas connaissance des réalités économiques des activités concernées (investissements d’intérêt général non privatisables, productivité à dimension sociale, rentabilité non lucrative, commercialité limitée, etc.).

La situation est devenue intenable pour ces structures qui mobilisent, pour l’exemple des ACI, des dizaines de milliers de salariés permanents et 115 000 personnes en parcours par an. Emplois qui, par leur ancrage local, apportent des services concrets aux populations des territoires, en premier lieu les plus défavorisées.

Il faut rassurer les énergies citoyennes et professionnelles des structures de l’insertion par l’activité économique

Compréhensifs des difficultés structurelles vécues par les différents pouvoirs publics et leurs administrations, et de façon à impulser une dynamique de co-construction territoriale dans le cadre de la gouvernance de la loi plein emploi, nous demandons :

  • Une clarification reconnaissante du rôle joué par les SIAE dans la mise en œuvre des politiques publiques à l’échelle nationale et locale dans le cadre de leurs missions d’intérêt général ; celles-ci ne peuvent pas être mises en cause par des pouvoirs publics qui leur ont demandé d’être en première ligne du social dans ce pays ; n’oublions pas que l’Etat confie un budget aux SIAE pour ses propres finalités de politiques publiques ;
  • L’ouverture de nouveaux moyens nationaux dans le Projet de Loi de Finance 2025 pour poursuivre le déploiement de postes et d’investissements et notamment sur les missions relevant de la transition écologique et sociale avec la possibilité ici de créer des passerelles emplois et parcours compétences pour tous ces nouveaux métiers qui s’imposent (ré-emploi, rénovation des bâtiments, mobilité douce, alimentation locale, gestion des milieux naturels…) ; il s’agit également de doter les Opérateurs de compétences (OPCO) de moyens supplémentaires pour la formation des personnes et leurs bonification sur ces trajectoires de transition ;
  • Des moyens supplémentaires de l’Etat pour négocier et contractualiser les alignements de finances publiques avec les Départements (notamment pour le co-financement des SIAE) ; des négociations avec les Régions et les EPCI sur leurs domaines de compétences pour les besoins d’investissements d’intérêt général des SIAE dans le cadre de conventions cadres régionales et déclinables par territoires intercommunaux ; par ailleurs une demande de mobilisation du formidable levier qu’est la commande publique et notamment à travers des marchés d’insertion ou réservés.
  • Une remise à plat des financements européens disponibles en quantité et qualité pour les missions sociales éligibles des SIAE et particulièrement des chantiers d’insertion dont le modèle économique (70% minimum de financement publics) dépend particulièrement, c’est-à-dire conforme à une couverture complémentaire des moyens d’encadrements des personnes en parcours ; c’est-à-dire clarifiées dans les règles de gestion au moment du conventionnement et sans remise en cause en cours de programmation ; c’est-à-dire facilitées par des avances de trésorerie systématiques pour les structures qui ne peuvent s’endetter pour couvrir leurs frais financiers comme aujourd’hui, avant de toucher le solde un, deux ou trois ans après l’action.

Ces constats et demandes viennent d’acteurs de terrain, la précarité des salariés et les besoins d’accompagnement, ils les vivent au quotidien !

Coordonnées :

Coorace : chargée de mission plaidoyer : adrien.riviere@coorace.org / FAS : coline.derreyfavre@federationsolidarite.org / Emmaus : Pierre Vouhe, responsable communication et relations presse, pvouhe@emmaus-france.org   / Chantier Ecole : a.wolff@chantierecole.org / Unai : directeur : christophe.cevasco@unai.fr / Réseau Cocagne : responsable communication Angélique Piteau communication@reseaucocagne.asso.fr Le mouvement des Régies : directrice : delphine.vidal@lemouvementdesregies.org

[1] Insertion par l’activité économique – Ministère du travail, de la santé et des solidarités (travail-emploi.gouv.fr)

[2] L’insertion des chômeurs par l’activité économique | Cour des comptes (ccomptes.fr) « La Cour porte une appréciation positive sur ce dispositif, qui apporte des réponses aux difficultés d’insertion des publics concernés. »

[3] CIRCULAIRE N° DGEFP/MIP/METH/MPP/2024/14 du 7 février 2024 relative au Fonds d’inclusion dans l’emploi (FIE) en faveur des personnes les plus éloignées du marché du travail (parcours emploi compétences, contrats initiative emploi, insertion par l’activité économique,entreprises adaptées, groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[4] Quadrat_ACI_Observatoire-de-branche_-Présentation-webinaire_220309_V2.pdf (ceasy.fr)

[5] L’augmentation significative du budget de l’IAE depuis 2018 (+500 millions d’euros annuel) est néanmoins à relativiser du point de vue des finances publiques au regard de la fin dès 2017 du programme d’emplois aidés pour les jeunes (3 milliards d’euros par an pour le secteur associatif).