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6 avril 2021

3 questions à Bérangère Grisoni, présidente du Collectif des Morts de la Rue

Pourriez-vous nous présenter le Collectif les Morts de la Rue et vos engagements ?

Créé en 2002, le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) regroupe une cinquantaine d’associations en lien permanent avec les personnes sans-abri. Il a pour missions de faire savoir que vivre à la rue mène à une mort prématurée (à 49 ans en moyenne), de dénoncer les causes souvent violentes de ces morts (agression, noyade, suicide, accident, …), de veiller à la dignité des funérailles et d’accompagner les proches en deuil (amis, familles…).

Accompagner les proches en deuil. Depuis ses débuts, le CMDR est en lien avec des proches de personnes à la rue (familles, amis, associations,…). Ces personnes nous contactent pour nous signaler un décès, obtenir des renseignements à propos d’un proche mort à la rue, ou parce qu’elles sont inquiètes pour une personne disparue.

Accompagner les morts isolés et/ou morts de la rue. Depuis 2004, l’accompagnement des morts isolés est une action du CMDR en convention avec la Ville de Paris. L’Institut médicolégal et les services funéraires de la Ville de Paris nous informent du départ des personnes dont les services publics n’ont pas retrouvé les proches. Ces personnes ne sont pas forcément sans domicile. Le transport se fait chaque semaine de manière collective (convois de 4 corps) mais le temps de recueillement à la chambre mortuaire puis au cimetière parisien de Thiais est toujours individualisé.

« Dénombrer et Décrire » est l’enquête épidémiologique que nous menons depuis 2012 avec l’appui de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) avec une publication annuelle en novembre. Cette enquête recense le nombre de décès de personnes sans chez soi sur le territoire français et recueille des informations sur leur parcours de vie, leur situation administrative et les circonstances du décès.

Rendre hommage publiquement chaque année aux morts de la rue. Malgré le rythme des hommages et parce que chaque mort est singulière, l’hommage prend chaque fois une forme nouvelle. Cette année, il s’est déroulé le 30 mars à Paris au Parc des Buttes Chaumont pour un temps d’hommage sans rassemblement avec une installation autour du lac : 535 petits pots de fleurs pour les 535 personnes – au moins – qui, durant les trois derniers mois avant leur décès ont majoritairement vécu dans des lieux non faits pour l’habitation ou en centres d’hébergement d’urgence ou temporaire. Cet hommage s’est doublé d’un hommage numérique qui se poursuit depuis le 30 mars avec la mise en ligne progressive de 535 vidéos. D’ailleurs, si vous souhaitez y contribuer, il est encore temps de nous adresser une courte vidéo (moins de 30 secondes) au format horizontal et de l’adresser à Hommagemortsdelarue2021@gmail.com

Le CMDR regroupe aussi les collectifs ou associations implantées en France à Angers, Avignon, Grenoble, Lille, Marseille, Rennes, Strasbourg… mais aussi en Belgique à Bruxelles et à Charleroi. Toutes ces associations rendent hommage et accompagnent les morts isolés et/ou morts de la rue au sein de leur territoire.

Pourriez-vous nous en dire plus sur l’organisation de votre hommage annuel ?

Comment arriver à rendre hommage publiquement, reconnaître la dignité de chacune de ces personnes et le scandale de leur mort prématurée sans risquer de blesser les familles et les proches ? Nous faisons en sorte que cela soit beau, une installation éphémère et unique.

Quelques mois avant l’hommage un groupe composé des deux permanentes de l’association, rejoint par un noyau dur de bénévoles, services civiques, de personnes de la rue, d’anciens de la rue, de membres d’associations adhérentes… se réunit pour penser, organiser, réaliser l’hommage de l’année à venir. Nos discussions abordent le dernier hommage : nos impressions, les retours des autres… Très vite, et parce que ça nous aide à nous projeter, nous cherchons le lieu, la date, l’heure et en faisons la demande à la Ville de Paris. Quand nous avons la réponse et que la date et le lieu sont validés, nous nous lançons dans la préparation/réalisation de l’hommage. Il faut trouver le thème de l’interpellation, penser l’installation commémorative, trouver les moyens techniques, réfléchir à la communication… Un travail, mais aussi un devoir collectif qui nous anime.

Depuis mars dernier, comment avez-vous adapté votre travail aux contraintes imposées par la crise sanitaire ?

Cette période a rendu impossible la présence des bénévoles pour l’accompagnement des morts isolés et/ou morts de la rue. Actuellement, les bénévoles accompagnent à nouveau, dans le respect des règles sanitaires.

Concernant notre enquête « Dénombrer et Décrire », les effets engendrés par la crise sanitaire ont compliqué le travail de l’équipe dont l’organisation et le traitement de confidentialité des informations nécessitent de venir au local du CMDR pour recueillir, traiter, saisir et enregistrer les données.

Quant au recensement des personnes décédées, il est probablement plus incomplet que les autres années, en raison des difficultés des remontées d’information liées à la pandémie, mais cela ne veut pas dire qu’il y a eu moins de décès. D’une part, parce que notre activité a été ralentie pendant les premières semaines de la crise sanitaire et d’autre part, parce que nos sources de signalement des décès (associations, hôpitaux, commissariats, états-civils…) étaient débordées et ne pensaient pas forcément à nous en informer.

Pour l’instant, il est donc trop tôt pour dire si le covid-19 a eu un impact sur la mortalité des personnes sans-abri. En revanche, ce qui est sûr et déplorable, c’est que dans l’ombre de la pandémie covid, une épidémie de violences faites aux personnes sans chez soi dure depuis trop longtemps. Jour après jour, année après année nous apprenons de nouveaux décès. Vivre à la rue tue. Nous venons de rendre hommage à 535 personnes, il s’agit du nombre de décès recensés par le CMDR et non d’un chiffre exhaustif qui peut être évalué statistiquement à environ 6 fois plus. Elles avaient 49 ans en moyenne. 491 hommes, 44 femmes, un enfant de moins 5 ans et 4 de moins de 19 ans et une personne de plus de 80 ans.

Propos recueillis par Marguerite Bonnot