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24 janvier 2023

Courrier de la FAS et de la Fondation Abbé Pierre au Président de la République et à la Première ministre sur la proposition de loi dite “anti-squat”

Voir le courrier complet envoyé au Président de la République

Voir le courrier complet envoyé  à la Première ministre

 

Le Président de la Fédération des acteurs de la solidarité

Le Délégué général de la Fondation Abbé Pierre

 

Paris, le 23 janvier 2023

Monsieur le Président,

Nous souhaitons vous alerter sur la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » récemment adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale.

Cette proposition de loi, qui sera examinée en séance au Sénat le 31 janvier 2023, est extrêmement inquiétante. Elle reviendrait à criminaliser de dizaines de milliers de personnes parmi les plus défavorisées.

Cette proposition de loi est née d’une confusion entretenue entre les rares cas de squats de domicile (170 signalés par an, qui sont déjà pénalisés et régis par des règles d’expulsion rapide en 72 heures), et d’autres situations bien plus nombreuses, comme les squats de bâtiments vacants ou le maintien dans leur logement de locataires condamnés à l’expulsion.

Alors que ce texte de loi était présenté initialement comme une défense des petits propriétaires face aux risques de squat de domicile, il s’attaque en réalité aux situations de squats de tous les locaux vides ou presque, y compris des locaux « à usage économique » abandonnés (bureaux, hangars, entrepôts), ainsi qu’aux locataires condamnés à l’expulsion, en menaçant ainsi des dizaines de milliers de personnes victimes de la crise du logement de peines allant de six mois à trois ans de prison.

A ceci s’ajouterait une réduction à trois étapes des délais de la procédure d’expulsion locative, alors qu’ils visent à mettre en place des dispositifs de prévention, bénéfiques tant pour le locataire que pour le propriétaire. Pour ne citer que le premier délai réduit, celui du commandement de payer,  la moitié de ces actes conduit actuellement au remboursement de la dette, objectif du propriétaire. Si ce délai passait de deux à un mois, moins de locataires pourront rembourser leur dette, et cela aboutira à engorger les tribunaux.

Cette proposition de loi restreint drastiquement l’action de la Justice. Le juge ne pourrait plus de lui-même accorder d’échéancier, vérifier le montant de la dette locative ou la décence du logement, sans que le locataire ne le demande, ce qui implique qu’il soit présent à l’audience (ce qui ne concerne que 37% des cas…) et qu’il soit bien informé de ses droits, et sans reprise du paiement intégral du loyer en cours. Il en résulterait un nombre croissant d’expulsions prononcées par les juges en leur interdisant d’apprécier les situations individuelles précises.

Soutenir cette proposition de loi revient à agir en contradiction avec la politique de prévention des expulsions conduite conjointement par plusieurs ministères et déclinée par la DIHAL, mais aussi avec la politique du Logement d’abord initiée en 2017.

La mise en œuvre de cette proposition de loi aurait pour conséquence d’augmenter le nombre d’expulsions, alors que nous connaissons leurs conséquences dramatiques et durables sur les ménages. Elle conduira également à la rue des milliers de personnes supplémentaires, expulsées ou n’ayant d’autre choix que de s’abriter dans un squat, alors que le secteur de l’hébergement est totalement saturé. Rappelons que près de 5 000 personnes (dont 1 000 enfants) appellent en vain le 115 chaque soir.

Alors que le logement est un droit à valeur constitutionnel, que la France compte plus de 4 millions de personnes mal logées, pénaliser plus encore les ménages envoie un message incompréhensible notamment pour nous, associations qui accompagnons les ménages. Il nous semblerait plus opportun de lutter contre les 3 millions de logement vacants, d’augmenter les moyens de la Justice ou encore à mettre en place une vraie garantie des risques locatifs de type Visale pour sécuriser les bailleurs.

Cette proposition de loi dangereuse, dénoncée par tous les acteurs, de l’ANIL à la Défenseure des droits, en incohérence avec la politique gouvernementale actuelle, se trompe de cible : ce sont les causes du mal-logement qu’il faut combattre, et non les personnes qui en sont victimes.

Nous demandons le retrait de cette proposition de loi, dont nous ne pourrions comprendre que le gouvernement ne s’y oppose pas clairement.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.

Pascal BRICE

Président de la Fédération des acteurs

de la solidarité

Christophe ROBERT

Délégué général de la Fondation Abbé Pierre