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19 décembre 2024

Familles monoparentales, faire évoluer les politiques publiques pour mieux les soutenir et les protéger

Les familles en situation de monoparentalité sont devenues une réalité sociale et politique incontournable qui doit être mieux reconnue et considérée dans ses besoins spécifiques. Représentant 82% des cheffes de familles monoparentales, les mères isolées sont particulièrement exposées à un cumul de vulnérabilités et de précarités. Face à la précarisation des familles monoparentales, l’Etat et les parlementaires proposent des évolutions pour mieux les soutenir et les protéger. La FAS participe à l’élaboration de ces évolutions.

 

Les familles monoparentales en chiffres 

  • Représente ¼ des familles avec enfants soit 2,1 millions de familles et 3,1 millions d’enfants
  • 82% des parents isolés sont des femmes
  • 40 % des enfants mineurs vivant seuls avec leur mère vivent en logement social
  • Plus de la moitié des parents isolés estiment que leur monoparentalité a un impact sur leur vie professionnelle et sur leur organisation au quotidien
  • Plus de 20 % des mères élevant seules leur enfant sont des “travailleuses pauvres”, contre 5 % pour celles qui sont en couple
  • 41 % des enfants qui vivent au sein d’une famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté
  • 25% des bénéficiaire à l’aide alimentaire sont des familles monoparentales (baromètre resto du cœur)
  • 39% sont locataires du logement social et 21% sont touchées par le mal-logement
  • Les femmes perdent 19% du niveau de vie lors de la séparation
  • Un « appelant » du 115 sur cinq est en situation de rupture familiale et un requérant DALO sur trois (32 %) est le chef d’une famille monoparentale [1]
  • En 2020 seulement 12% des enfants dont les parents sont séparés vivaient en résidence alternée [2] , et seulement 21% des pères demandaient la garde alternée

 

 

Les familles monoparentales, de quoi parle-t-on ?

Les familles en situation de monoparentalité sont devenues une réalité sociale et politique incontournable et représentent une catégorie statistique enfin reconnue en tant que modèle familial de la parentalité contemporaine. Comme tout autre typologie familiale, les familles monoparentales représentent une catégorie familiale à part entière qui doit être mieux reconnue et considérée dans ses besoins spécifiques dans l’élaboration de l’ensemble des politiques publiques.

L’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) indique ainsi qu’«une famille monoparentale comprend un parent isolé et un ou plusieurs enfants célibataires (n’ayant pas d’enfants) ». Notons que cette définition certes contestable, ne prend en considération que « le fait d’habiter dans un même logement » sans intégrer la diversité des situations de vie des familles monoparentales.

 

Des vulnérabilités spécifiques engendrées par la situation de monoparentalité

Les familles monoparentales se retrouvent au croisement des enjeux de lutte contre la précarité, d’insertion professionnelle, d’égalité entre les femmes et les hommes, et d’égalité des chances, et subissent des contraintes spécifiques qui réduisent leurs chances d’amélioration de leur condition de vie.

C’est plus particulièrement le cas des mères isolées, représentant aujourd’hui 82% des cheffes de familles monoparentales, qui se retrouvent le plus exposées à un cumul sous-estimé de vulnérabilités et de précarités : isolement social, violences (genre, administratives, sexuelles et sexistes…), situation de privation matérielle et sociale, précarité monétaire , épuisement psychologique et physique ; emplois précaires à horaires atypiques et temps partiels subis, chômage, triple journée et charge mentale du foyer.

Elever seul.e son enfant a un impact réel sur son état de santé, et plus particulièrement sur la santé mentale. Le sentiment d’isolement provoqué par l’exercice solitaire de la parentalité, l’impossibilité de s’occuper de soi et l’absence, ou la faiblesse de soutien familial ou amical, jouent un rôle prépondérant sur l’état de santé des mères ou pères en situation de monoparentalité.

Le surcoût monétaire de la situation de monoparentalité toujours sous-estimé et impensé, tout comme son impact sur la précarisation des conditions de vie de ces familles, notamment sur les frais fixes à la charge d’un seul parent (logement, alimentation, énergie, frais scolaires, activités extrascolaires, transport, vacances…).

Malgré le renforcement des mécanismes de solidarité publique comme privée pour y remédier (revalorisation du montant de l’ASF, reconnaissance du statut de parent isolé dans les impôts, le RSA activités revalorisée, crèches AVIP…), les conditions de vie des familles en situation de monoparentalité ne cessent de se dégrader.

A ces facteurs de vulnérabilités engendrés par la situation de monoparentalité, se cumulent des représentations stigmatisantes et des discriminations. Ainsi, à titre d’exemple, une enquête du Défenseur des droits sur l’accès aux droits montre qu’une famille monoparentale est deux fois plus exposée à la discrimination dans la recherche d’un logement qu’une famille biparentale [3] en raison de représentations stigmatisantes les concernant.

Ces représentations peuvent aussi avoir des effets sur l’accompagnement social proposé aux mères les plus précaires, qui se retrouvent moins souvent orientées vers des accompagnements visant directement l’insertion professionnelle, et plus souvent vers des accompagnements dédiés à travailler leur rapport à la parentalité, pensée comme un préalable à la prise ou à la reprise d’emploi.

 

 

Prise en compte des besoins des familles monoparentales par l’Etat

Face à la précarisation inquiétante des familles monoparentales, l’Etat et les parlementaires ont décidé de se saisir de la question afin de questionner à la fois les réponses apportées par les politiques publiques et familiales à destination de ces familles et proposer des évolutions nécessaires pour mieux les soutenir et les protéger.

Ainsi, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du sénat a engagé des travaux, et a publié en 2024 un rapport d’information intitulé « les familles monoparentales, pour un changement des représentations sociétales », dans lequel des recommandations ont été formulées à destination des pouvoirs publics.

S’inscrivant dans la continuité de ce rapport, l’ancien premier Ministre Gabriel Attal, a lancé une mission gouvernementale afin d’identifier les mesures de soutien à apporter aux familles en situation de monoparentalité. Cette mission avait été confiée à Fanta Bérété, députée de Paris et à Xavier Iacovelli, sénateur des Hauts-de-Seine. À la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, ce dernier a continué seul cette mission et a été chargé de l’écriture du rapport de recommandations. Ainsi, ce rapport plaide pour « un changement de cadre normatif mais aussi des pratiques […] pour avoir un impact rénové et réel sur les conditions de vie des familles en situation de monoparentalité », notamment en préconisant une meilleure prise en compte des freins spécifiques rencontrés par les familles monoparentalité et la nécessité d’adapter les politiques publiques à leurs besoins particuliers.

 

Parmi les recommandations communes partagées au sein de ces deux rapports, nous retenons les suivantes :

Adapter le système socio-fiscal aux besoins des familles monoparentales
Il est communément reconnu aujourd’hui, que l’ampleur de la pauvreté monétaire des familles en situation de monoparentalité serait sous-estimée et donc sous-évaluée, faute d’outils de mesures et d’échelles adaptés prenant en compte « le coût réel de l’enfant » et le « surcoût de la monoparentalité ». Pour ce faire, les deux rapports plaident pour réviser les échelles d’équivalence de niveaux de vie et des budgets de références afin d’améliorer à la fois l’appréciation des situations financières réelles de ces familles, et d’autre part pour renforcer les mécanismes de solidarité publique et privée et rendre plus lisible et plus juste le système socio-fiscal.

Réévaluer le barème de calcul de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, pour améliorer la prise en compte des différentes dépenses relatives à l’enfant et à la hauteur des coûts d’entretien et d’éducation des enfants et garantir son versement.

L’article 371-2 du code civil dispose que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur ». De plus, le code civil précise la situation en cas de séparation entre les parents, en prévoyant que « chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant » (article 373-3) et que « la contribution à son entretien et à son éducation prend la forme d’une pension alimentaire versée par l’un des parents à l’autre » (article 373-2-2).

La loi rappelle que la situation de monoparentalité, ce n’est pas avoir qu’un seul parent au quotidien, surtout pour les enfants qui ont été reconnus par les deux parents. De fait, l’investissement financier comme éducatif de l’autre parent doit être encouragé, en particulier par le biais du versement d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (CEEE), plus communément appelée « pension alimentaire ».

Selon une étude de la Drees [4] , un quart des parents non-gardiens solvables ne verse pas la pension alimentaire, et pour ceux qui la verse, pour deux parents sur trois le montant est inférieur au « coût réel d’un enfant ». Le versement moyen de la CEEE serait de 190 euros, alors que le HFCEA [5] rappelle que l’évaluation du « coût de l’enfant » est centrale dans l’analyse de la politique familiale pour éviter les tensions et agir contre le risque d’impayés et rappeler à chaque parent « les devoirs qui lui incombe ».

Les deux rapports préconisent de réévaluer le barème de calcul de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, d’améliorer le recouvrement des impayés de pension alimentaire, en continuant de soutenir le développement de l’ARIPA, institutionnalisant l’intermédiation financière des pensions alimentaire, qui permet de sécuriser et garantir leur versement grâce aux prélèvements à la source.

Néanmoins, ce service n’est accessible qu’aux parents disposant d’une décision de justice actant le versement d’une pension alimentaire. C’est pourquoi la mission gouvernementale « prévoie d’inscrire dans le droit l’obligation générale de fixation d’une CEEE sur la base d’un barème unique et national » pour en assurer l’effectivité pour toutes et tous.

De plus, la pension alimentaire est considérée dans le système socio-fiscal français comme « un revenu » alors qu’il s’agit d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Pour le parent débiteur, celui-ci ou celle-ci bénéficie au contraire d’un abattement fiscal. Par conséquent, la défiscalisation de la pension alimentaire devrait s’accompagner d’une suppression de l’abattement sur le revenu.

 

Création d’une carte famille monoparentale

Les deux rapports préconisent la création d’une « carte famille monoparentale », qui permettrait, de reconnaître à la fois la spécificité de ces familles via la création d’une carte matérialisant leur statut, mais aussi de leur garantir des droits nouveaux répondant à leurs besoins. Ainsi, grâce à cette carte, les familles pourraient bénéficier de droits, avantages et tarifs préférentiels leur permettant de faciliter leurs démarches administratives, leurs accès à des activités culturelles et sportives, les cantines scolaires, à la mobilité, etc.

 

Faciliter le maintien et l’accès au logement des familles en situation de monoparentalité

Pour les familles monoparentales (des femmes seules avec enfants, dans 82% des cas), l’accès au logement est particulièrement contraint : il est difficile, notamment en zone tendue, d’obtenir un logement de plusieurs pièces avec une source de revenus unique. En parallèle, les familles monoparentales sont également surexposées au mal-logement (suroccupation, humidité, etc.), pourtant elles connaissent un taux d’attribution plus élevé dans l’octroi d’un logement social. En 2022, sur les 420 000 attributions de logements sociaux, les familles monoparentales représentent 29% du total des attributions observées, se plaçant en deuxième position après les personnes seules [6] .

Pour autant, nombre de familles monoparentales ne réussissent pas à accéder à un logement, faute de revenus suffisants, ou d’harmonisation des critères de cotation des bailleurs au national, permettant leur accès prioritaire à un logement social partout sur le territoire.

Pour cette raison, le rapporteur Xavier Iacovelli préconise « la simplification des pièces administratives exigées lors du dépôt d’un dossier de demande de logement social en se fondant sur les attestations CAF et MSA. D’autre part, les deux rapports appellent à approfondir et à encourager les initiatives d’habitat partagé ou encore l’extension de la garantie Visale et des prêts immobiliers à taux zéro pour faciliter l’accession à la propriété.

 

Accompagner l’accès à l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi

Comme le constate le rapport d’information 2024 du Sénat sur les familles monoparentales « la précarité qu’elles rencontrent s’explique d’abord par la dégradation de leur situation sur le marché du travail (horaires décalés, travail à temps partiel, emplois peu qualifiés) et par la baisse des revenus tirés du travail » et préconise l’instauration de « mesures spécifiques, mais aussi transversales » qui permettraient à ces femmes élevant seules leurs enfants ainsi qu’à toutes les femmes en situation précaire « d’accéder à de meilleures conditions sur le marché de l’emploi ». En effet, elles sont surreprésentées dans des emplois peu qualifiés, socialement et financièrement dévalorisés, avec des perspectives d’évolution et de formation limitée. Du fait de leur situation de monoparentalité, certaines d’entre elles, les moins diplômées en particulier, se retrouvent contraintes à devoir adapter leur activité professionnelle à leur situation familiale, voir à renoncer à travailler faute d’horaires adaptés à leur vie familiale. Les recommandations portées dans ces deux rapports viennent questionner les pratiques professionnelles en incitant à mieux articuler temps de travail et temps de vie parentale.

Pourtant, France Travail, ou encore le « plan égalité entre les femmes et les hommes » ne prévoient aucune mesure spécifique pour lever les difficultés rencontrées et faciliter leur accès dans un parcours d’insertion professionnelle, et/ou vers et le maintien dans l’emploi. En améliorant la prise en compte des vulnérabilités spécifiques rencontrées par ces familles dans leur accès ou maintien dans l’emploi, les professionnel.le.s pourront, selon le rapporteur, déployer des modalités particulières d’accompagnement pour « le retour ou le maintien vers et dans l’emploi », notamment en facilitant l’accès aux établissements d’accueil du jeune enfant (grâce au déploiement des crèches AVIP) ou encore en soutenant les parents lors de leur prise de poste. De même, la délégation aux droits des femmes du Sénat préconise de faciliter l’accès des familles monoparentales aux dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle.

 

[1] Fondation Abbé Pierre, Etat du mal logement en France en 2020

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5227614/2020

[3] Défenseur des droits, enquête sur l’accès aux droits. Les discriminations dans l’accès au logement, volume 5, 2017

[4] Drees, Un quart des parents non gardiens solvables ne déclarent pas verser de pension alimentaire à la suite d’une rupture de Pacs ou d’un divorce, Raphaël Lardeux, janvier 2021

[5] https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/synthese_cout_de_l_enfant_def.pdf

[6] https://www.ancols.fr/page/Panorama-du-logement-social-2024