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27 juin 2024

Comment héberger les femmes comme elles en ont besoin, les réponses de Pauline de La Cruz des Eaux vives d’Emmaüs

Les adhérents de la FAS sont en premières lignes aurpès des personnes qu’elles accompagnent dans leurs structures et trouvent des solutions chaque jour pour les aider à sortir de la précarité. L’association Les eaux vives Emmaüs, présente dans la région Nantaise depuis les années 70, connait bien les difficultés des publics et observe les évolutions depuis plusieurs années. De plus en plus de familles monoparentales sont touchées par la pauvreté et viennent chercher une mise à l’abri dans leurs établissements qui doivent trouver des solutions pour s’adapter malgré le manque de moyens.

Pauline de La Cruz, directrice Projet-Innovation au sein de l’association, réponds aux questions de la FAS pour partager les constats et les solutions mises en places pour répondre aux besoins de ces femmes cheffes de familles, seules avec leurs enfants.

FAS : Le SIAO de Loire Atlantique vient d’ajouter la case « parent isolé » parmi les réponses possible dans le questionnaire sur la typologie des publics, en quoi est-ce une avancée ?

Pauline de La Cruz : C’est une avancée car cela permet de rendre visible un besoin spécifique qui était jusque-là insuffisamment pris en compte. Si je prends l’exemple de notre activité d’accueil inconditionnel, les parents isolés avec enfants, c’est-à-dire les femmes isolées avec enfants dans 90% des cas, n’étaient pas visibles car la plupart du temps elles ne fréquentent pas nos centres d’accueil ou haltes de nuit. Les femmes peuvent généralement ne pas se sentir en sécurité dans les lieux mixtes sauf quand il existe un espace qui leur est réservé. Par exemple avant la crise Covid, notre halte de nuit mixte de 30 places avait deux salles de repos, une pour les hommes et une pour les femmes, donc les femmes à la rue venaient quand même. Mais après la crise sanitaire nous avons changé de lieu et il n’y avait plus la possibilité de faire deux espaces séparés. Les femmes ne sont presque plus venues.

Fort de ce constat nous avons ouvert un nouvel établissement non mixte et cette fois beaucoup de femmes se sont présentées, dont des femmes enceintes. Un public qu’on ne voyait presque jamais avant. Nous avons remonté ces données à l’Etat et à la DDETS qui ont fini par le renseigner dans l’activité de veille sociale du SIAO. Cela permet aujourd’hui de visibiliser ces parents isolés et à l’avenir de proposer des solutions d’hébergement adaptées à leurs besoins spécifiques.

 

FAS : Pour favoriser l’accès à l’emploi des parents de jeunes enfants l’association Les Eaux Vives Emmaüs portent plusieurs dispositifs innovants, pouvez-vous nous en parler ?

Pauline de La Cruz : Nous avons créé le dispositif Femmes avec Enfants Vers l’Insertion Professionnelle (FEVIP) pour permettre aux femmes avec un ou des enfants de moins de 3 ans à charge d’accéder durablement à un emploi ou une formation qualifiante et /ou certifiante en leur proposant des modalités d’accompagnement adaptés à leurs besoins.

L’objectif est de remobiliser les mamans dans leur projet professionnel en leur laissant du temps pour prendre des cours de français, rencontrer les travailleurs et travailleuses sociaux.ales ou les conseiller.es en insertion professionnelle. L’objectif est aussi de soutenir les femmes dans leur parentalité et d’assurer leur bien-être et celui de leurs enfants car beaucoup d’entre elles sont confrontées au surmenage parental qui parfois s’ajoute à des vécus traumatiques passés qui fragilisent leur santé mentale.

Dans une démarche de transculturalité, il est important pour nous de ne pas juger la façon dont les femmes éduquent leurs enfants. Elles sont nombreuses à venir de cultures différentes et à se sentir jugées par les personnes et structures qui les accompagnent. Ça fait partie des freins à lever pour leur redonner confiance et leur permettre de confier leurs enfants sans être remises en cause dans leur rôle de mère. Pour les enfants, le fait d’être gardés par d’autres personnes et de rencontrer d’autres petit.es les aide à développer la socialisation en prévision de leur entrée en crèche ou à l’école.

Aujourd’hui le dispositif FEVIP peut accueillir six enfants en même temps mais nous souhaitons doubler la capacité d’accueil et permettre aux mères de s’absenter pour suivre une formation ou se rendre à des entretiens d’embauche par exemple. En tant qu’acteur de l’AHI, nous avons besoin de créer des partenariats avec d’autres secteurs et de faire une demande d’agrément pour avoir le droit de prendre en charge les enfants sans la présence des mamans.

 

FAS : Alors que les haltes de nuit ne répondent ni aux engagements de l’état ni au plan Logement d’abord, comment améliorer le parc d’hébergement aux besoins spécifiques des femmes, et plus particulièrement aux besoins des femmes cheffes de familles monoparentales ?

Pauline de La Cruz : Les haltes de nuits sont des dispositifs de mise à l’abri temporaires mais en aucun cas des hébergements. Après une journée en errance, les femmes sont épuisées et ont d’abord besoin de dormir en sécurité donc il n’est pas possible de leur proposer un accompagnement social dans ces moments-là. L’idéal est de pouvoir mobiliser les travailleurs ou travailleuses sociaux.ales hors les murs pour accompagner les femmes là où elles se trouvent dans la journée, c’est ce qu’on fait dans notre Halte Femmes. Si on veut leur redonner du pouvoir d’agir et leur permettre de sortir de la précarité il faut leur en donner les moyens, ça n’est pas un problème de capacité mais de ressources.

Au sein de notre association Les Eaux Vives Emmaüs, dans les structures collectives à taille humaine qui hébergent quatre ou cinq familles monoparentales, il y a de la solidarité qui se met en place naturellement. Quand les femmes trouvent des espaces d’expression sécurisés elles retrouvent du pouvoir d’agir et peuvent trouver des solutions. Mais elles sont seules avec leurs enfants et pour éviter la rupture elles ont besoin d’être accompagnées.

La question est de savoir à quel moment démarre l’accompagnement, jusqu’où il va et comment l’adapter aux besoins des femmes. Par exemple il y a un fort besoin sur la santé sexuelle et reproductive. Nous défendons la non-mixité mais il faut aussi préserver la cellule familiale quand elle existe. Par exemple quand les pères sont présents, il parait inconcevable de les laisser à la rue alors que leurs femmes et enfants sont à l’abri. Autre exemple, quand elles accèdent à un logement ou un hébergement d’insertion, cela peut être synonyme d’une nouvelle rupture de parcours et donc il faut accompagner cette arrivée dans un nouvel environnement de vie, éviter de reproduire l’isolement social. Il faut plusieurs formats d’accueil et plusieurs composantes d’accompagnement qui s’adaptent de manière agile aux besoin et attentes et à leurs évolutions.

Propos recueillis par Audrey Coral