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13 septembre 2024

La FAS écrit au Premier ministre Michel Barnier

Le Président

Michel BARNIER
Premier Ministre
Hôtel Matignon
57 rue de Varenne
75007 Paris

Paris, le 13 septembre 2024

 

Monsieur le Premier ministre,

La formation de votre gouvernement intervient dans un moment de grande préoccupation pour les associations actrices de la solidarité et de la lutte contre les exclusions et la pauvreté.

Si notre pays est l’un de ceux où les protections et la redistribution sont les plus puissantes, la pauvreté sous ses différentes formes n’y baisse plus depuis près de 40 ans et s’enracine profondément et durablement depuis ces dernières années, dans les quartiers des villes comme dans les campagnes et les territoires ultra marins. Elle concerne toutes les catégories de la population : les jeunes, les femmes -surtout lorsqu’elles sont seules avec leurs enfants-, les personnes privées d’emploi, les étrangers, mais aussi les personnes âgées et de plus en plus de travailleurs pauvres qui subissent la précarité.

Faute de cap et de moyens adaptés dans la durée, confrontées à la succession des chocs depuis la crise sanitaire puis inflationniste, les associations sont de plus en plus démunies face à ces réalités sociales dont l’ombre projetée, celle de la précarité et du déclassement, inquiète une part grandissante des Françaises et des Français. Certaines failles et dysfonctionnements des politiques publiques d’État ou décentralisées : aide sociale à l’enfance, santé mentale, accueil des femmes victimes de violences, immigration, impactent des millions de personnes et ce sont les associations, le plus souvent soutenues par des financements publics, qui en subissent les conséquences. Sans compter les enjeux de rémunération des travailleurs pauvres qui incombent aux employeurs.

Alors que la sortie du « quoi qu’il en coûte » s’effectue sans que les enseignements de la remarquable mobilisation collective intervenue sous l’égide de l’Etat durant la crise sanitaire n’aient été tirées, les acteurs de la solidarité attendent du gouvernement l’affirmation d’une volonté sans faille de lutter efficacement contre la pauvreté et la précarité dans l’urgence et dans la durée.

Après plusieurs mois de dérive du discours et des politiques gouvernementaux et publics s’appuyant essentiellement sur une stigmatisation des personnes les plus fragiles – bénéficiaires du RSA, chômeurs et étrangers principalement, la situation du pays a conduit notre Fédération à devoir prendre sa part de la large mobilisation du printemps dernier afin que notre pays ne soit pas placé sous la direction de mouvements d’extrême-droite antinomiques de la solidarité. Nous attendons aujourd’hui une clarification de la part du gouvernement : ces stigmatisations qui pèsent lourdement sur les personnes concernées, les associations et la cohésion nationale, ne constituent en aucun cas une réponse aux difficultés de notre pays et notamment d’une partie des classes moyennes précarisées. Elles ne font qu’accentuer les risques démocratiques et les atteintes à la cohésion sociale dans notre pays.

La solidarité, l’engagement réciproque de la société et des personnes accompagnées et accueillies, ainsi que la justice fiscale nous apparaissent, à l’inverse, comme des réponses aux défis que doit relever notre pays.

Nous voudrions ici insister sur quelques priorités sur lesquelles les acteurs de la solidarité attendent votre gouvernement, dans l’urgence et dans la durée :

  • L’ouverture du nombre de places d’hébergement d’urgence nécessaires au respect de l’inconditionnalité de l’accueil des personnes en situation d’urgence sociale, tout particulièrement pour les plus de 2 000 enfants encore à la rue en cette rentrée scolaire, le lancement d’une programmation pluriannuelle concertée aux niveaux local et national et des moyens renforcés pour accompagner les personnes sans abri, en hébergement et vers le logement ;
  • La relance du logement social en prenant notamment appui sur la loi SRU pour mettre un terme aux ghettos urbains ;
  • Le soutien au travail social par la simplification des procédures contre la bureaucratisation de ces métiers alors même que les personnes en situation de précarité ont de plus en plus besoin d’un accompagnement renforcé ;
  • Une politique de plein emploi solidaire par le soutien à l’insertion par l’activité économique et aux « Territoires Zéro Chômeurs Longue Durée » afin que nul ne reste au bord du chemin vers le plein emploi ;
  • Une politique d’immigration qui garantisse à la fois la dignité des personnes et l’ordre économique et social en refusant de livrer les personnes à la rue, en permettant l’accès au travail et en mettant un terme à la multiplication des procédures de reconduite sans justification d’ordre public ;
  • Une politique de transition écologique alliant la justice sociale à ses différents défis et permettant aux acteurs de la solidarité et à celles et ceux qu’ils accompagnent de répondre durablement à cet enjeu majeur ;
  • Le soutien aux associations confrontées à de lourdes difficultés financières notamment pour la mise en œuvre de l’accord d’extension du Ségur agréé par la Ministre du Travail le 24 juin dernier qui n’est toujours financé ni par l’Etat ni par les Départements. De nombreuses associations sont mise en grande difficulté par cette absence de réponse des financeurs publics.

Nous ne sous-estimons pas, monsieur le Premier ministre, l’ampleur de votre tâche dans un pays confronté à de lourds enjeux notamment de finances publiques et qui gâche trop souvent par des approches verticales et bureaucratiques les possibilités de l’action publique, associative et citoyenne. L’engagement résolu contre la pauvreté et pour la cohésion sociale nous apparait en un tel moment de la vie de notre pays non comme une charge mais bien comme porteuse de solutions pour peu que s’ouvre une perspective d’action autre que le repli budgétaire à l’aveugle, la stigmatisation des personnes ou les (non) réponses à court terme. Les acteurs de la solidarité – personnes accompagnées, travailleurs sociaux, responsables d’associations, bénévoles- n’ont pas ménagé leur engagement dans la succession des crises. Ils ont besoin d’être considérés, écoutés, respectés, confortés et dotés des moyens nécessaires à leur action dans la durée.

Nous sommes à votre disposition monsieur le Premier ministre pour reprendre ainsi collectivement le chemin de la solidarité auprès des plus fragiles pour garantir l’unité et la cohésion de notre pays.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre haute considération.

 

Pascal BRICE

Président