27 novembre 2024
15 juin 2021
Anne-Sophie Rochegune, 34 ans, est déléguée du Conseil Régional des Personnes Accueillies/Accompagnées de la Réunion. Dans cet entretien, elle souligne l’importance des formes de participations « informelles », que ce soit auprès des habitants du quartier ou sur les réseaux sociaux, pour nourrir sa réflexion et faire évoluer les pratiques.
Quel est votre parcours au regard de la participation ?
J’ai très vite été intéressée par le social et la politique, c’est-à-dire s’impliquer et contribuer au bon fonctionnement de la société. Quand j’étais petite, j’assistais aux conseils de quartier organisés par la mairie où étaient discutés des sujets sur le vivre-ensemble tels que l’accès aux loisirs pour les jeunes défavorisés. Cet intérêt a encore grandi lorsque je suis entrée à l’université de la Réunion dans laquelle j’ai participé à un projet sur l’égalité des chances qui consistait à venir en aide aux étudiants en difficulté en faisant du tutorat ou de la pair-aidance. Ensuite, j’ai participé pendant 10 ans à « Kraland interactif », un jeu de parodie politique en ligne (MMORPG) qui simule sept empires avec ses systèmes idéologiques et dont la gestion devait se faire à toutes les échelles, que ce soit locale, régionale, nationale voire internationale… des personnes qui travaillaient dans des institutions comme le ministère de l’Économie qui y ont aussi joué ! C’était une belle expérience de réflexion et d’expérimentation.
Après, j’ai traversé une période de « chute » : je me suis retrouvée sans possibilité de logement et sans point d’appui, j’ai dû rentrer à la Réunion et être hébergée par des proches puis dans un foyer. Au début, le système des foyers me posait problème car l’accompagnement qui m’était proposé ne m’allait pas. J’ai constaté que très souvent, les personnes accueillies n’étaient pas entendues, c’était à nous de nous adapter et non au système de s’adapter pour répondre à nos besoins. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré un délégué CRPA qui était lui-même au sein du foyer et toujours en parcours d’accompagnement. Il m’a parlé des instances participatives et m’a invitée à intervenir à une plénière CRPA. J’y suis allée, ensuite on m’a proposé de me présenter à l’élection et j’ai été élue déléguée en 2019.
Avez-vous un exemple qui montre l’importance de la participation des personnes concernées ?
Un des exemples les plus marquants pour moi, c’est la construction des colis alimentaires distribués aux personnes sans-abri. Cela a été longtemps été fait sans consulter les personnes concernées. Résultat, personne ne s’est dit que cela pouvait être fatigant physiquement et mentalement voire inadapté pour les personnes sans-abri de transporter 3 kilos de conserves toute la journée, sans savoir où les stocker et en ayant la peur de se le faire voler. Les travailleurs sociaux n’y avaient pas pensé, et la participation a été essentielle pour qu’ils s’en rendent compte.
D’après vous, comment faire progresser la participation ?
À mes yeux, je pense qu’il y a deux points essentiels pour faire progresser la participation : les échanges de proximité et les échanges sur les réseaux sociaux.
Pour les premiers, ça doit commencer par les habitants du quartier où l’on habite avec de la cohésion dans son immeuble et dans son quartier. Quand un habitant a un problème, il se peut que d’autres le rencontrent aussi et qu’ensemble ils puissent trouver une solution. Il faut créer une dynamique fondée sur la confiance. C’est la relation de confiance qui instaure la participation. Par exemple, dans mon quartier, des personnes viennent me voir pour que je leur donne des conseils pour remplir leurs papiers ou que j’intervienne auprès du travailleur social qui les accompagne, et en retour, j’en tire des informations, je prends des notes, et j’utilise ces notes intelligemment dans les différentes instances où j’interviens.
Pour les échanges sur les réseaux sociaux, il y a aujourd’hui de plus en plus de personnes qui vont s’exprimer en ligne pour être entendues sans forcément l’être. J’ai voulu donner un écho à toutes ces personnes qui échangent « pour rien ». J’ai créé un compte Facebook dédié à mon action en tant que déléguée CRPA et lorsque je vois un commentaire intéressant sur un post, je contacte la personne pour lui demander si ça l’intéresserait qu’on en discute ensemble. Ces personnes, je ne les ai pas trouvées dans la rue, dans une association ou dans une instance, mais au-hasard d’internet, et je considère leur point de vue tout aussi important.
Quelles ont été les conséquences positives ou négatives de la crise sanitaire sur la participation ?
Pour le CRPA de la Réunion, ce qu’on a gagné en termes de participation, c’est de la visibilité et une meilleure communication par rapport à la métropole. Avant cette crise, mes collègues des CRPA en métropole ne pensaient pas forcément à faire des réunions en visio pour nous inclure à certains événements ou bien à organiser des plénières hybrides (présentiel avec la possibilité d’y assister et d’intervenir à distance). On peut dire que « l’occasion a fait l’inclusion ». Après, même si pour moi c’est un levier, je ne suis pas forcément représentative de toutes les personnes concernées, dont beaucoup n’ont pas de matériel informatique ou ne le maîtrisent pas. La crise sanitaire a montré l’importance de se former à l’informatique.
Qu’est-ce que la participation t’a apporté à titre personnel ?
La participation m’a apporté de l’épanouissement en me permettant non seulement de trouver une manière et un « lieu » pour m’exprimer mais aussi la possibilité de porter la parole des personnes autour de moi. Aujourd’hui, je sais pourquoi et pour qui je participe et ça me rend heureuse. Cela m’a également permis de mieux comprendre et connaître le système et les institutions qui nous accompagnent au cœur de la précarité, ça a été un tournant significatif en termes d’espoir, personnel comme collectif.
Propos recueillis par Robin Woreczek
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