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30 octobre 2019

Lettre ouverte au Préfet de Paris et de l’Ile-de-France : Pour un hébergement d’urgence respectueux de la dignité des personnes

Lettre ouverte au Préfet de la région Ile-de-France

29 octobre 2019

Monsieur le Préfet,

Chaque année, nos associations sont sollicitées par les services de l’État pour ouvrir des places d’hébergement d’urgence pendant la période hivernale. Ces places d’hébergement sont par nature temporaires et relèvent d’une gestion « au thermomètre » du sans-abrisme à laquelle le secteur associatif est opposé. L’ouverture d’une partie d’entre elles est déclenchée en fonction des conditions météorologiques. Quant à la décrue du dispositif, elle dépasse chaque année la date du 31 mars sans pour autant empêcher des remises à la rue. Nous nous félicitions qu’une partie des places d’hébergement ouvertes pendant l’hiver soit finalement pérennisée par l’État, mais la décision intervient en fin de période hivernale et avec une anticipation insuffisante. Ces ouvertures et fermetures saisonnières génèrent, entre autres inconvénients, des coûts importants parfois supérieurs à ceux de l’hébergement pérenne1. L’année dernière, seulement 2 200 des 6 000 places d’hébergement ouvertes pendant la campagne hivernale en Ile-de-France ont été maintenues.

Cette année, encore plus que précédemment, la campagne hivernale se déroulera dans un contexte de tension dans notre secteur. Ainsi, nous constatons d’ores et déjà une saturation du dispositif malheureusement inédite. Pendant la semaine du 14 au 20 octobre, dans le département de la Seine-et-Marne, 362 personnes à la rue ont sollicité le « 115 » sans se voir proposer d’hébergement d’urgence. Dans la même période, dans le département de Seine-Saint-Denis, ce sont 562 personnes, dont 398 en famille, qui ont été confrontées à la même absence de réponse adaptée. À Paris, rien que le 7 octobre, 1 648 personnes sont restées à la rue, dont 1 514 en famille. Notons que ces chiffres ne reflètent que les demandes exprimées et sous-estiment donc largement la réalité. Alors que l’absence de logement ou d’hébergement est en soit une vulnérabilité qui justifierait une prise en charge, bon nombre des personnes vivant à la rue, notamment les hommes isolés, ne sollicite plus le « 115 ». Ces personnes n’étant pas considérées comme « prioritaires », leur probabilité d’accéder à un hébergement est quasi nulle.

À cette explosion de la demande, il faut ajouter une difficulté à faire progresser l’offre d’hébergement. Le bâti disponible est de plus en plus rare et difficile à capter. Les associations sont contraintes de se tourner vers des locaux dont la fonction initiale (bureaux, parkings, …) impose des travaux significatifs pour être adaptés à l’hébergement. Le risque est que ce contexte de tension se traduise par des conditions d’ouverture de places d’hébergement difficilement compatibles avec les droits fondamentaux, la dignité des personnes et les obligations légales inscrites dans le Code de l’action sociale et des familles.

Nous avons déjà regretté lors de la précédente campagne hivernale que les conditions d’ouverture n’aient pas été satisfaisantes. Il nous parait inquiétant et inacceptable que, sous le prétexte de l’urgence, l’hébergement dont la finalité est l’inscription dans un parcours d’insertion soit transformé en mise à l’abri à vocation simplement humanitaire et ce, sans même que des solutions de sorties vers des dispositifs adaptés ne soient élaborées.

Nous sommes convaincus qu’il est possible, même dans le contexte actuel, d’assurer une campagne respectueuse de la dignité des personnes et répondant aux exigences de l’action sociale.
Si nous saluons la mise en place par les services de l’État d’un cahier des charges pour l’ouverture des places hivernales, nous déplorons son manque d’élaboration avec le secteur. Nous proposons de retravailler avec vos services son contenu et les modalités de financement des places d’hébergement (du point de vue quantitatif et qualitatif, il importe notamment de dissocier les coûts du bâti de ceux de l’accompagnement).

Il nous parait par conséquent indispensable que le cahier des charges et les financements de l’État garantissent l’ouverture de places d’hébergement d’urgence répondant aux conditions minimales suivantes qui reprennent celles co-construites avec vos services dans le cadre de l’élaboration récente du guide de l’AFFIL sur l’hébergement intercalaire :

  • Une ouverture 24h/24 des lieux d’hébergement ;
  • Un hébergement qualitatif (fenêtres, lits dans des chambres…) ;
  • Une continuité de l’hébergement qui exclue les remises à la rue ;
  • Établir un projet social accompagnant le projet d’installation de la structure ;
  • Réaliser une évaluation médicale et sociale des personnes accueillies ;
  • Alimenter ou permettre l’accès à l’alimentation des personnes hébergées ;
  • Procurer un accès à l’hygiène sur le site (eau chaude, douches, toilettes…) ;
  • Assurer la sécurité sur le site 24h/24 ;
  • Assurer l’entretien, la maintenance et la mise en état des lieux ;
  • Assurer l’accès aux premiers secours (défibrillateur + formations) ;
  • Le cas échéant, mobiliser des moyens d’interprétariat : permettre l’accès à une information comprise par les personnes ;
  • Mettre en œuvre un accompagnement social permettant l’accès aux droits, à la santé et les démarches en vue de favoriser la sortie vers une solution adaptée ;
  • Mettre en place des règles de vie et une contractualisation avec les personnes hébergées ;
  • Favoriser l’intégration des personnes dans le quartier : journées portes ouvertes, liens avec les acteurs socioculturels du quartier, les équipements…

L’implication de tous est nécessaire. Dans ce cadre, nous attendons des collectivités locales une mobilisation afin que les personnes hébergées puissent bénéficier d’une domiciliation et d’un accompagnement social mais également qu’elles soient facilitatrices de l’installation de nouvelles structures sur leur territoire.

La mobilisation du bâti disponible nécessite l’engagement des associations, des collectivités locales, des bailleurs et de l’État. Le pilotage de cette mission de mobilisation du bâti doit selon nous être menée, a minima au niveau régional dans une logique de solidarité territoriale, par les services de l’État.

Enfin, les tensions que nous connaissons en Ile-de-France rendent impérative la mise en œuvre à l’échelle régionale d’un comité de suivi pérenne permettant :

  • D’anticiper collectivement les ouvertures et fermetures de places liées à l’hébergement intercalaire et saisonnier, tout en privilégiant l’ouverture de places d’hébergement pérenne ;
  • D’assurer une continuité de l’accueil pour les personnes accueillies.

En conclusion, nous réaffirmons notre mobilisation à vos côtés pour l’hébergement de toute personne à la rue sans opposition des publics et des vulnérabilités. Nous rappelons nos attentes en matière de fluidité de l’hébergement vers le logement et sommes convaincus que l’urgence de l’hiver n’est pas incompatible avec un accueil digne des personnes à la rue et un plein respect de leurs droits.

Arthur ANANE

Président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité IdF

 

1 Guillaume Arnell et Jean-Marie Morisset,Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur le financement public des opérateurs de l’hébergement d’urgence, rapport n°164, sessions ordinaire 2018-2019 : « […] le coût d’une place hivernale, qui doit amortir les travaux et aménagements réalisés, peut s’avérer très supérieur à celui d’une place pérenne en centre d’hébergement, alors que les conditions d’accueil sont bien moins favorables. »