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18 octobre 2024

Lutte contre la traite des êtres humains : interview de Céline Olive, chargée de mission du dispositif national Ac.Sé

Céline Olive est chargée de mission du dispositif national Ac.Sé, coordonné par l’Association Agir pour le Lien Social et la Citoyenneté (ALC). Elle réponds aux questions de la FAS à l’occasion de la Journée Européenne de lutte contre la traite des êtres humains du 18 octobre.

 

Comment fonctionne le dispositif Ac.Sé et en quoi consiste l’accompagnement social global spécifique proposé par votre réseau auprès des personnes victimes de traite des êtres humains ?

L’équipe du dispositif national Ac.Sé est composée d’une travailleuse sociale, d’une juriste, d’une chargée de mission et d’un chef de service, mais aussi et surtout d’un réseau de 118 partenaires (services orienteurs et structures d’hébergement) formés à orienter et accompagner les personnes victimes des différentes formes de traite et d’exploitation.

Aujourd’hui c’est 128 personnes victimes de traite qui sont prises en charge par le Dispositif Ac.Sé, sur tout le territoire national, au sein du réseau de partenaires.

Comment se déroule la prise en charge : dans un premier temps, nous sommes saisis par un service orienteur partenaire ou non du dispositif d’une demande d’orientation. Nous réalisons alors une évaluation conjointe de la situation de la personne orientée, au regard des faits de traite des êtres humains dont elle est victime, et du danger local justifiant un éloignement géographique. Lorsque que nous obtenons un accord de principe d’accueil de la part d’une structure d’hébergement partenaire, nous organisons un entretien de pré-accueil en visio en présence de tous les services concernés et bien sûr de la personne orientée. Les objectifs principaux de cet entretien sont de lui présenter le Dispositif Ac.Sé et la structure d’hébergement afin de nous assurer de son adhésion et que la place proposée soit adaptée à ses besoins en matière d’accompagnement. La ou les personne.s sont ensuite accueilli.s et accompagné.e.s par l’équipe socio-éducative de la structure d’hébergement partenaire au réseau qui a participé à l’entretien.

Nous recommandons vivement un accompagnement par le service orienteur de la personne depuis le lieu d’exploitation et/ou de danger vers le centre d’hébergement afin d’assurer sa sécurité et un réel passage de relais physique entre les professionnel.e.s. Le Dispositif prend en charge les frais de déplacements occasionnés par le transfert.L’accompagnement social global est proposé par les équipes socio-éducatives des associations partenaires qui hébergent les personnes concernées prises en charge par le Dispositif. Les équipes de ces structures ont bénéficié en amont d’une formation à l’identification, l’orientation, la protection et l’accompagnement des victimes de traite des êtres humains. Cette formation est dispensée par notre équipe et est totalement gratuite pour les partenaires grâce à un financement spécifique que nous recevons du ministère de la justice.

Les formations proposées s’articulent autour des thèmes suivants :  le cadre légal et règlementaire ; une sensibilisation au phénomène de la TEH et une présentation des différentes formes de traite ; les voies de protection et les droits associés, l’accompagnement socio-juridique et administratif des personnes victimes de traite, la prise en compte de la temporalité nécessaire pour le rétablissement de la personne en tant que sujet et/ou du stress post-traumatique; les indicateurs facilitant le repérage et l’identification des personnes victimes de traite. Nous adaptons nos modules de formation selon les besoins de chaque partenaire, selon les spécificités locales.

 

Quels sont les freins spécifiques rencontrés par les victimes de traite ? Constatez-vous une évolution des publics victimes de traite et une aggravation de leurs conditions de vie ?

Depuis début 2024, nous rencontrons une évolution des publics victimes de traite qui nous sont orientés. En effet, près de 40% des demandes d’orientation reçues concernent des jeunes femmes françaises victimes d’exploitation sexuelle. Pour un grand nombre, les personnes étaient déjà exploitées quand elles étaient mineures. Nous expliquons cette évolution des publics orientés par une meilleure connaissance du phénomène d’exploitation sexuelle et par le déploiement de politiques publiques visant à prévenir les situations et à sensibiliser et former des professionnel.le.s de tous les corps de métier (social, médical, police, justice…)

Nous notons, parmi les personnes qui nous sont orientées, une aggravation à la fois de leur état psychique (multiplication des psycho-traumas antérieurs à la situation de traite et générés par cette situation). L’accompagnement social proposé, à l’instar de loi 2002-2,doit donc prendre en compte la temporalité de la personne et s’inscrire dans le temps long. Il doit être individualisé au regard du vécu singulier de chaque personne.

Nous constatons également depuis le début d’année une forte augmentation des orientations de personnes en proie à des addictions, lié à l’évolution de prise de  de substances psychoactives  par les personnes concernées, entraînant l’apparition de nouveaux freins dans l’accompagnement de certaines victimes de traite et requestionnant les pratiques professionnelles des équipes socio-éducatives des centres d’hébergement qui ne sont pas toujours suffisamment outillées ou formées pour cette prise en charge spécifique. En effet,  nous avons constaté que parmi les plus jeunes personnes accueillies, certaines souffrent désormais de séquelles neurologiques provoquées par la consommation massive de protoxyde d’azote (les « ballons) et se retrouvent en situation d’invalidité Ces séquelles, invalidantes, impactent leur insertion professionnelle, et nécessitent une adaptation  du projet d’accompagnement social au handicap et à l’accès aux soins.

Un des freins persistants demeure l’accès au droit au séjour des personnes étrangères prises en charge par le Dispositif, qui restent majoritaires. La difficulté majeure est liée aux délais de traitement des demandes initiales et demandes de renouvellement de titres de séjour, qui sont dématérialisées depuis fin 2023 pour les victimes de traite ayant coopéré avec les autorités judiciaires (dépôt de plainte ou témoignage, Art. L.425-1 du CESEDA). Ces lenteurs ont pour conséquence de retarder l’ouverture des droits sociaux, ou des ruptures de droits en cas de renouvellement. Un risque d’aggravation de l’état psychique des personnes orientées est alors à craindre.

Heureusement, lorsque nous rencontrons des freins dans l’accès aux droits, nous pouvons toujours compter sur l’implication de la MIPROF, qui est notre partenaire institutionnel privilégié.

 

Le 3ème Plan national de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains (2024 – 2027) a été présenté et de nouvelles mesures sont annoncées. Quel est selon vous le ou les mesures la/les plus attendue.s ?

Selon nous, la mesure la plus attendue est la mise en place du Mécanisme National d’Identification et d’Orientation et de Protection des victimes de traite des êtres humains (MNIOP), qui permettra enfin à la France de disposer d’un « mécanisme national de référence » pour la détection, l’identification, l’orientation et l’accompagnement des victimes de traite, présumées ou avérées, accessible pour les professionnel.l.es qui pourront signaler une victime de traite. La création du MNIOP est l’objectif stratégique n°1 du deuxième axe du 3ème plan, et dont la première action est l’organisation de la coopération entre les acteurs. A ce titre, le Dispositif Nationale Ac.Sé fait partie des acteurs de la société civile, principalement des associations spécialisées, sollicités par la Miprof pour coconstruire une plateforme nationale dématérialisée support du MNIOP.

Le second grand enjeu est celui de la formation des professionnel.le.s de « première ligne » afin de mieux repérer les victimes de traite.Ainsi, les personnels soignants et notamment ceux et celles exerçant dans les services d’urgence mais aussi les professionnels libéraux, les écoutant.e.s 115 et équipes des SIAO, les ISCG (Intervenantes Sociales en Commissariat et Gendarmerie) devraient pouvoir a minima être sensibilisés au sujet de la TEH et dans l’idéal être formés au repérage et à la protection des victimes, comme cela est déployé pour les violences faites aux femmes.

Evidemment, les personnels des forces de sécurité intérieure, de la magistrature, les avocats sont également concernés. A ce titre, le Dispositif Ac.Sé participe à des formations organisées par l’OCRTEH (Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains) à destination de policiers et gendarmes venant de tout le territoire national, mais aussi à des formations organisées par l’Ecole Nationale de la Magistrature ou par les Barreaux de France, et toujours en collaboration avec la Miprof qui impulse et coordonne une grande partie de ces actions de formations.

 

Quelles sont vos préconisations pour améliorer la prise en charge des personnes victimes de traite en France ?

Nos préconisations correspondent aux mesures du 3ème plan national de lutte contre la TEH. Evidemment, nous pourrions aller plus loin et notamment en souhaitant une augmentation des crédits dédiés à la prise en charge des victimes et à la lutte contre la traite. Si le 3ème plan prévoit un accroissement des solutions d’hébergement proposées aux victimes de TEH, les places Ac.Sé ne sont pas valorisées en tant que telles. Lorsqu’un partenaire accepte de mettre à disposition du Dispositif une ou plusieurs places, cela vient grever les places dites de droit commun pour lesquelles il reçoit un financement identique. Les partenaires de notre réseau s’engagent à nos côtés par volonté affichée d’agir pour les victimes de traite. Il faudrait également augmenter les solutions d’hébergement pour hommes seuls dont les orientations par notre Dispositif sont plus longues du fait d’un manque de places.

Il serait également nécessaire de pouvoir garantir un accès facilité et rapide aux soins en santé mentale, mais nous avons bien conscience des difficultés et de la saturation du secteur psychiatrique et psychologique. Les délais d’obtention d’un premier rendez-vous en CMP (Centre Médico-Psychologique) ou en CRP (Centres Régionaux de Psychotraumas) sont excessivement longs, pas seulement pour les victimes de traite. La difficulté d’accès est accrue lorsque les personnes sont étrangères et qu’elles sont allophones. La plupart des structures de soins en santé mentale n’ont pas ou pas suffisamment de budget pour recourir à l’interprétariat.

Ici encore, certaines solutions mises en place pour les femmes victimes de violences conjugales, telles que le téléphone grave danger, pourraient être dupliquées et proposées aux victimes de traite. Celles prises en charge par notre dispositif sont en danger au moment de l’orientation et le demeurent parfois malgré l’éloignement géographique vers une place d’accueil sécurisant. Il existe déjà des solutions, nous n’aurions plus qu’à nous en inspirer.