27 juin 2024
26 juin 2024
Le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile [1]a été adopté par le parlement européen le 10 avril 2024 après plusieurs années d’intenses négociations [2]entre les états membres, malgré une opposition importante de la société civile européenne[3]. Celui-ci n’est pas sans conséquence pour les personnes exilées et semble bien plus répondre à des enjeux sécuritaires extérieurs à l’Union Européenne qu’aux enjeux intérieurs de protection et d’intégration. Les états membres auront jusqu’à l’année 2026 pour le mettre en place et adapté leur droit interne en fonction du contenu du pacte.
L’ensemble du contenu de ce pacte, représentant 1400 pages réparties 9 grands chapitres, est encore en train d’être analysé en profondeur par les juristes de nombreuses organisations. Les éléments présentés ici ne se veulent donc pas exhaustifs mais ont pour objectif de poser les premiers enjeux.
Ce nouveau texte s’inscrit dans le cadre global des différents accords passés ces dernières années entre l’Union Européenne et les pays tiers, à savoir la Tunisie, l’Egypte la Mauritanie et la Turquie. Ces accords de plusieurs milliards d’euros [4]permettent de renforcer les contrôles des frontières de ces états afin de contrôler au plus près, dans ces pays de transit et de départ, les personnes en situation de migration. L’externalisation du contrôle des frontières est davantage renforcée chaque année par l’Union Européenne et semble être le fondement de ce nouveau texte, alors même qu’elle accueille moins de 10% des personnes réfugiées dans le monde.[5]
Ces accords sont ensuite prolongés par chacune des politiques nationales des pays membres, à travers des aides bilatérales, comme l’a fait la France avec la Tunisie en juin 2023. Plus de 25 millions d’euros ont ainsi été accordé à la Tunisie par la France pour « soutenir les efforts nationaux de lutte contre la migration clandestine » en permettant l’acquisition d’équipements, la formation de nouveaux policiers et de gardes-frontières tunisiens pour favoriser le retour des migrants en situation dite irrégulière.[6]
En conséquence, l’élargissement de la notion de « pays tiers sûr » (à ne pas confondre avec la notion de « pays d’origine sûr ») est l’un des principaux points de vigilance. Une demande d’asile qui pourrait être qualifiée d’irrecevable permettrait à l’état membre de transférer la personne dans le pays « tiers sûr », et le simple fait de transiter par ce pays sûr pourrait suffire à établir un lien pertinent entre le demandeur et le pays en question[7]. Ce règlement reste une possibilité et non une obligation pour les états membres. Le Conseil d’Etat avait déjà rejeté cette notion en 2018 [8]mais la Fédération des acteurs de la solidarité restera attentive à sa non-application dans notre droit interne.
Concernant les procédures, le pacte vient sacraliser ici la pratique des « hotspots ». [9]En effet, le nouveau règlement dit « filtrage » consiste à prévoir un dispositif de filtre pour toute personne appréhendée au moment de l’entrée de l’UE (voie maritime, voie pédestre etc). Il sera alors possible de placer la personne dans un lieu d’enfermement pour une durée de 7 jours où un contrôle sanitaire et sécuritaire sera exercé à son encontre. Ce contrôle de 7 jours pourrait être renouvelé jusqu’à 12 semaines, et sera déterminant pour le parcours de la personne exilée qui sera ensuite placée en procédure normale ou accélérée[10].
Le règlement dit « Dublin III[11]» adopté en 2013, détermine que toute demande d’asile doit être adressée au premier pays européen dans lequel la personne a enregistré pour la première fois ses empreintes. Celui-ci a été longuement débattu et remis en question, autant par les états membres eux-mêmes que par la société civile. Finalement, très peu de changements ont été constaté : le nouveau règlement nommé « gestion » prolonge encore le mécanisme de renvoi entre les états selon les empreintes. Une répartition et un mécanisme de « solidarité » peut être mis en place en cas de « surcharge » d’un Etat membre. Concernant ce mécanisme de « «solidarité » entre les états membres et la « répartition égale » des demandeurs , il existe 3 types de solidarité qui peuvent être mis en place : la relocalisation (transfert des personnes), le transfert de financements pour les états membres situés en première ligne et le transfert vers un pays tiers. Dans le cadre d’EURODAC et de la prise d’empreinte, le nouveau pacte permet désormais la prise d’empreinte dès l’âge de 6 ans et non 14 ans comme c’est le cas aujourd’hui.
Ainsi, derrière chacun de ces règlements se pose la question du respect des droits fondamentaux. Sans réforme concrète du règlement Dublin et avec la consécration de l’ approche des hotspots, le pacte renforce, entre autres, les situations d’encampement dans les pays de première entrée et des conditions de vie inhumaines au sein même de l’Union Européenne. L’externalisation massive des contrôles extérieures révèle ainsi les ambitions de l’UE concernant la protection des personnes exilées : aucune mesure n’a été prise pour garantir l’accès à l’asile, ou privilégier des voies légales comme celles de la réinstallation. Les sauvetages en mer et l’intégration des personnes sont également les grands absents de ce nouveau pacte. Puisqu’une grande partie de ce pacte n’a pas d’obligation directe dans les droits internes des pays membres, la question de l’harmonisation et d’une application disparate des mesures est très fortement présente.
Concernant l’application du pacte européen dans le droit interne français, la Fédération des acteurs de la solidarité est prête à se rendre disponible auprès de la Direction Générale des Etrangers en France pour contribuer à travailler à son futur plan d’application.
Pour aller + loin
https://www.pactedupouvoirdevivre.fr/webinaires/webinaire-pacteasileetmigration
https://www.lacimade.org/publication/decryptage-du-pacte-europeen-sur-la-migration-et-lasile/
[1] https://eur-lex.europa.eu/oj/daily-view/L-series/default.html?ojDate=22052024&locale=fr
[2] https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/
[3] Plus de 160 organisations de la société civile appellent les députés européens à rejeter le pacte européen sur les migrations – La Cimade
[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/16/l-ue-offre-a-l-egypte-une-aide-economique-contre-un-meilleur-controle-des-migrants_6222401_3210.html
[5] https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr
[6] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/20/a-tunis-ballet-diplomatique-de-l-europe-sur-le-dossier-migratoire_6178498_3212.html
[7] https://www.forumrefugies.org/s-informer/publications/articles-d-actualites/en-europe/812-le-concept-de-pays-tiers-sur-de-nouveau-en-discussion-dans-le-pacte-sur-la-migration-et-l-asile et https://forumrefugies.org/en/s-informer/publications/articles-d-actualites/en-europe/1493-vers-une-application-elargie-de-la-notion-de-pays-tiers-sur
[8] https://www.gisti.org/spip.php?article5957
[9] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/immigration-a-quoi-servent-les-hot-spots-que-veut-l-europe_3054439.html
[10] https://www.ofpra.gouv.fr/les-procedures-specifiques
[11] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013R0604
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