28 mars 2025
27 mars 2025
Le monde associatif fait face à de multiples défis, dont la fragilisation de son autonomie financière, l’alourdissement des contraintes bureaucratiques et une perte de sens dans le travail social. Pour repenser les rapports avec les pouvoirs publics et ainsi redonner aux associations la capacité d’agir, la FAS s’associe au sociologue Jean-Louis Laville et au Cnam pour co-organiser un colloque le 4 avril intitulé « Relations entre associations et pouvoirs publics : changer les règles du jeu ».
Nous avons rencontré Jean-Louis Laville, directeur scientifique de la chaire partenariale ESS à la Fondation du Cnam, Marie-Catherine Henry, directrice de Cose comune et Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, qui participent aux tables rondes du colloque.
Question 1. Pourquoi faut-il changer les règles du jeu dans les relations entre associations et pouvoirs publics ?
Jean-Louis Laville : La situation actuelle est difficilement tenable pour les associations. Les nouvelles normes de contractualisation basées sur les appels d’offre créent une mise en concurrence entre les associations, source de tensions. Il y a de plus en plus un alignement de leur modèle de gestion sur celui des entreprises.
Ce qui fait la spécificité des associations est négligé. Leur force c’est d’être inventives face aux situations et aux parcours des personnes qu’elles soutiennent. Les savoirs expérientiels sont oubliés alors qu’ils sont une clé de compréhension indispensable pour permettre aux personnes d’être accompagnées au plus près de leurs besoins.
Nous devons trouver un nouveau cadre de coopération et le colloque du 4 avril a pour ambition de nous y aider. Il est né d’une volonté commune, des élu⸱es, des responsables politiques, des chercheur⸱euse⸱s et de la FAS de faire un diagnostic pour créer ensemble les conditions de nouvelles collaborations.
Marie-Catherine Henry : Les libertés associatives sont de plus en plus menacées. Entre les sanctions pour non-respect du contrat d’engagement républicain notamment, et l’imposition de nouvelles prescriptions de la part des pouvoirs publics, il y a un fort besoin de renouer le dialogue sur des bases symétriques.
Les associations ont la capacité d’imaginer les solutions car elles sont confrontées aux difficultés réelles du terrain. Elles sont des partenaires à part entière parfois négligés par les pouvoirs publics. Nous traversons une crise de la démocratie représentative alors que l’action associative est un levier de l’engagement citoyen invisibilisé.
Claire Thoury : Les financements du monde associatif sont préoccupants pour 3 raisons. D’abord, structurellement les budgets ont beaucoup changé. Avant les associations recevaient des subventions pour répondre aux besoins qu’elles avaient identifié sur le terrain, mais aujourd’hui c’est le contraire. Elles sont mises en concurrence dans le cadre d’appels d’offre pour répondre à des marchés publics.
Ensuite, la liberté associative est menacée. Il y a une véritable dérive autour de leur financement utilisé pour les contrôler notamment avec la création du contrat d’engagement républicain.
Enfin, les tensions conjoncturelles sont très fortes. Entre la crise inflationniste et la crise sanitaire, les associations sont en premières lignes et subissent les coupes budgétaires de plein fouet alors qu’elles ne peuvent pas faire peser ces restrictions sur leurs bénéficiaires qui sont déjà dans des situations précaires. Pour continuer d’exister, nous, milieux associatifs, devons nous émanciper. Il faut repenser la façon de collecter et redistribuer l’argent public car il appartient à tout le monde, et pas seulement aux pouvoirs publics. C’est une question démocratique, un projet société.
Question 2. Jean-Louis Laville et Marie-Catherine Henry, vous venez de publier Enquête sur l’évaluation dans les établissements sociaux et médico-sociaux. En quoi ce travail donne des pistes de réflexions sur les nouvelles formes de coopération à mettre en place ?
Jean-Louis Laville : La première partie du livre est une critique sur l’évaluation quantitative, à partir du référentiel de la Haute Autorité de santé (HAS), érigée en modèle unique, qui gomme les innovations démocratiques des associations. Nous avons réalisé des centaines d’entretiens pour savoir comment les personnes accompagnées et les professionel⸱le⸱s avaient vécu l’évaluation et beaucoup parlent de souffrance.
La deuxième partie de l’ouvrage propose des solutions alternatives pour substituer, en complément ou en remplacement de l’évaluation quantitative, une évaluation qualitative respectueuse des innovations mises en place dans les associations. Il est nécessaire de pratiquer d’autres formes d’évaluations qualitatives pour valoriser les savoirs expérientiels des personnes accompagnées et le travail des professionnel·les du social.
Pour recenser ces initiatives, les mutualiser et en faire un outil de travail pour améliorer les pratiques, nous proposons par exemple la création d’un observatoire. Nous proposons aussi d’utiliser une méthode d’immersion c’est-à-dire de permettre à un⸱e chercheur⸱euse de venir faire l’évaluation pendant 24h, 48h ou plus longtemps au sein de la structure. Ce temps long permettrait de laisser apparaitre des savoirs actuellement invisibilisés alors que ce travail d’intelligence collective existe.
Ces propositions ont pour objectif de montrer que l’évaluation qualitative est une autre forme d’évaluation. Valoriser le travail des salarié⸱e⸱s des associations leur offre une respiration. Lors d’un des entretiens que j’ai mené, une travailleuse sociale m’a dit : « Si quelqu’un en face de moi reconnait que je peux être fière de ce que je fais dans mon travail, ça vaut le coup ! ».
Marie-Catherine Henry : Les associations sont très agiles pour gérer l’imprévu et engager des démarches de progrès alors que ces capacités sont ignorées et minorées. Les enquêtes que nous avons menées auprès des associations, dont certaines sont adhérentes à la FAS, mettent en évidence la portée démocratique de leurs innovations en termes de pouvoir d’agir, l’émancipation, le changement des représentations.
Les innovations du quotidien, engagées parfois avec peu de moyens, répondent à des situations vécues et sont garantes d’une qualité de vie et de travail. Elles ne sont pourtant pas prises en compte par le référentiel de la HAS alors qu’elles pourraient contribuer à la co-construction des critères d’évaluation.
Dans le cadre des enquêtes, j’ai rencontré l’infirmière de l’association Blanzy-Pourre à Boulogne sur mer qui héberge des hommes avec notamment des problématiques d’insertion et d’addiction. La jeune infirmière se sentait démuni face à ces personnes car elle n’avait pas été formée pour s’occuper de ce genre de publics. Ces hommes étaient aussi très stigmatisés par la population car perçus comme des fauteurs de trouble en ville et dans les établissements de soins qu’ils avaient pu fréquenter. Pour changer ces représentations, l’infirmière a proposé à l’école d’infirmières de Boulogne d’apprendre à connaitre ces hommes via des vidéos dans lesquelles ils racontaient leur histoire. Avec un petit budget elle a pu financer la réalisation de ces vidéos et les présenter aux étudiant⸱es. Son projet a permis de changer le regard des étudiant⸱es mais aussi des professionnel⸱les de santé et de mieux prendre en compte leur problématiques.
Question 3. Claire Thoury, vous allez participer à la Table ronde 3 : ” Faire autrement. Quelles nouvelles règles du jeu ?”, quelles seraient les nouvelles règles à instaurer avec les pouvoirs publics ?
Claire Thoury : Les associations conduisent des projets et font partie des contre-pouvoirs dans une démocratie. Le financement des syndicats ou des partis politiques est encadré, réglementé, pensé, mais pas celui des associations. Or pour qu’elles puissent exister il faut inventer une nouvelle manière de les financer. La vraie question c’est de savoir comment l’argent public est récolté et distribué pour faire vivre ce corps social.