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25 octobre 2022

Enfance Famille : analyse des mesures du projet de loi de finance et du projet de loi de finance de la Sécurité Sociale

Le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) prévoient plusieurs mesures d’intérêt pour l’accompagnement des enfants et familles en situation de précarité. Nous analysons à titre principal les mesures du PLFSS relatives à la politique familiale ainsi que le programme 304 “inclusion sociale et protection des personnes” du budget de l’Etat, qui finance notamment plusieurs mesures de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et des mesures relatives à la protection et l’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables.

Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale

La Branche “Famille” de la Sécurité sociale (pilotée par la Caisse nationale d’allocations familiales et gérée par le réseau des caisses d’allocations familiales, les Caf, pour le régime général) est excédentaire depuis plusieurs années, exception faite de l’année 2020. Ainsi en 2021, son excédent s’élevait à 2,9 Md€. Il est prévu à 2,6 Md€ en 2022.

Plusieurs mesures annoncées dans le cadre des discussions budgétaires devraient avoir pour conséquence une augmentation significative des dépenses de la branche Famille. L’augmentation des recettes permettra a priori de les compenser, et à la branche de rester excédentaire, bien que dans une moindre mesure que les années précédentes. Ces mesures peuvent concerner les familles en situation de précarité.

Il s’agit en particulier :

  • Dès 2022, de l’augmentation de 50% de l’allocation de soutien familial (non prévue par le PLFSS parce que relevant d’évolutions réglementaires), versée aux parents isolés ne pouvant recevoir de soutien financier de la part de l’autre parent de leur enfant. Elle est touchée principalement par des mères isolées.
  • La réforme du complément mode de garde (CMG) “emploi direct”, avec entrée en vigueur en 2025
  • La mise en œuvre d’un service public de la petite enfance, “sur un horizon pluriannuel” et dont les contours ne sont pas encore connus, des concertations devant avoir lieu à partir de l’automne 2022.

La réforme du CMG “emploi direct”, qui était une revendication de plusieurs organisations, dont la Fédération (cf. la plateforme de propositions 2022), doit permettre de rendre l’accueil individuel plus accessible pour les familles modestes et d’harmoniser les restes à charge et les taux d’effort entre les familles bénéficiaires du CMG et celles ayant recours à une crèche financée par la prestation de service unique. Le PLFSS prévoit aussi une extension du CMG aux enfants âgés de 6 à 12 ans pour les parents isolés, et la possibilité de partager le CMG “emploi direct” entre les deux parents en cas de garde alternée.

Si cette évolution est accueillie positivement par la Fédération, plusieurs questionnements demeurent. Ainsi, le versement du CMG emploi direct reste soumis à une condition d’exercice d’une activité professionnelle, et le PLFSS ne précise pas le barème utilisé pour calculer le nouveau CMG. Dans ces conditions, l’impact réel sur la capacité que pourront avoir les familles en situation de précarité à recourir aux solutions d’accueil individuel reste incertain. L’accueil individuel conserve par ailleurs des particularités, notamment le fait que le parent soit employeur, qui le rende structurellement moins accessible pour les personnes en situation de précarité.

La Fédération suivra avec attention, et formulera diverses propositions dans le cadre des échanges relatifs à la mise en place d’un “service public de la petite enfance”, afin de faciliter l’accès aux solutions d’accueil du jeune enfant pour les familles en situation de précarité.

Programme 304 du projet de loi de finances : “Inclusion sociale et protection des personnes”

Au sein du programme 304, deux actions ont particulièrement trait au soutien des enfants et familles vulnérables. Il s’agit de l’action 19 “ Stratégie interministérielle de prévention et lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes”, et de l’action 17 “Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables”.

  1. Stratégie de prévention et lutte contre la pauvreté

Le programme 304 ne finance qu’une partie des mesures de cette Stratégie. Plusieurs d’entre elles concernent directement la lutte contre la reproduction des inégalités et le soutien aux enfants de familles précaires : la tarification sociale des cantines scolaires par les communes rurales et le développement du programme des petits-déjeuners gratuits. Le programme 304 finance aussi le déploiement des maraudes mixtes et le plan de formation des professionnel.les de la petite enfance.

L’année 2023 représentera une phase de transition, la Stratégie ayant été initialement prévue jusqu’en 2022. Une évaluation globale de la Stratégie est censée être effectuée pour définir les suites qui y seront données. Les crédits passent de 327 M€ ouverts en loi de finances initiale 2022, à 252 M€, soit une baisse de 75 M€ (près de 23%). La ventilation des crédits pour cette action est peu détaillée dans le “bleu budgétaire”.

S’agissant de la tarification sociale des cantines : le document indique une augmentation de 7 M€ par rapport à l’année précédente, le budget devrait donc atteindre 29 M€ en 2023. Le bilan de cette mesure est resté assez mitigé les années précédentes (son périmètre avait d’ailleurs été élargi pour que la mesure soit davantage utilisée). D’après le comité d’évaluation de la Stratégie dans son troisième rapport, 24 851 élèves bénéficiaient du tarif adapté en 2021, soit environ 27% de l’objectif de 90 000 enfants concernés. En 2021, le budget prévu pour la mesure a été consommé à environ 25% (5,1M€ sur les 20M€ prévus en 2021), démontrant la persistance de difficultés à encourager certaines communes à mettre en œuvre cette tarification adaptée, pour des raisons financières, de complexité administrative mais aussi de choix politiques.

La mesure “petits-déjeuners” a été recentrée sur les territoires d’Outre-Mer. Le budget 2023 n’est pas précisé, mais la mesure avait elle aussi rencontré des difficultés d’application. Pour l’année scolaire 2020-2021, 96 602 enfants ont bénéficié de petits-déjeuners à l’école, soit 48% de l’objectif initialement fixé (200 000 bénéficiaires). En 2021, le budget alloué n’a pas non plus été entièrement consommé (7,8M€ sur 12M€ prévus).

  1. Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables

L’action 17 a vocation à financer des mesures qui concernent principalement la politique de Protection de l’enfance au sens strict de la prise en charge des enfants pour lesquels des mesures de protection ont été décidées par les départements – qui portent la compétence de l’Aide sociale à l’Enfance – ou la justice. Plusieurs mesures peuvent aussi concerner plus largement des politiques visant à protéger les enfants et à soutenir les familles, et s’adresser ainsi à l’ensemble des professionnel∙les exerçant auprès des enfants et familles, dont celles et ceux en situation de précarité.

Les crédits de l’action 17 doivent ainsi principalement financer :

  • L’appui au dispositif d’accueil et d’évaluation “des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés (MNA)” ;
  • La subvention de fonctionnement du futur GIP France Enfance Protégée dont la création par fusion de l’agence française de l’adoption (AFA), du groupement d’intérêt public pour l’enfance en danger (GIPED) composé du service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger (SNATED) et de l’observatoire national pour la protection de l’enfance (ONPE)), du conseil national d’accès au origines personnelles (CNAOP) et du conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) est prévue par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants;
  • La poursuite des actions engagées dans la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance (140 M€ principalement destinés aux départements dans le cadre de la contractualisation) ;
  • L’appui aux conseils départementaux suite à l’obligation de prise en charge jusqu’à 21 ans des jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance non autonomes, prévue par la loi du 7 février 2022, budgété à hauteur de 50 M€ ;
  • La participation de l’État à la compensation partielle (30%) aux Conseils départementaux de l’effet des revalorisations salariales dans les services de protection maternelle et infantile (PMI), à hauteur de 20 M€ ;
  • Le soutien à des associations partenaires dans le domaine de la protection et de l’accompagnement de l’enfance, de l’adolescence et des familles vulnérables ;
  • Les mesures liées aux 1 000 premiers jours de vie des enfants et au soutien de leurs parents, issues du rapport de Boris Cyrulnik. 2 M€ sont prévus pour l’ensemble du “plan 1000 jours” dont le soutien à des projets portés par différentes associations (en 2021, plusieurs adhérents de la Fédération avaient été lauréats des appels à projets 1000 jours, 1,4 M€ y avait été consacré).
  • Le plan national de lutte contre les violences faites aux enfants et aux jeunes, dont le financement du développement des Unités d’accueil pédiatrique enfant en danger (UAPED) et de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) – voir à cet égard le communiqué de presse sur le partenariat entre FAS et CIIVISE pour permettre aux personnes en situation de précarité de témoigner des violences sexuelles dont elles ont pu être victimes dans leur enfance. 7,4 M€ sont consacrés à ce plan, en majeure partie pour le développement des UAPED.

Le PLF 2023 prévoit 315 M€ de crédits de paiement pour ces actions en 2023, ce qui représente une augmentation significative par rapport aux 249 M€ ouverts en 2022 avec +66M€. L’augmentation est due au financement partiel des revalorisations salariales dans les PMI et de la prise en charge jusqu’à 21 ans des “jeunes majeurs” accompagnés par l’ASE. Cependant, en 2021, alors que 246 M€ de crédits avaient été ouverts en LFI, seuls 152 M€ avaient été dépensés, soit un taux d’exécution de 61%.

La Fédération défend, au-delà du maintien d’un niveau suffisant de soutien aux familles en situation de précarité dans la situation actuelle de crise économique, une approche décloisonnée de la politique de protection des enfants, qui permettrait une priorisation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de différentes politiques publiques.

À cet égard, la Fédération s’inquiète vivement de l’annonce de la suppression de 14 000 places d’hébergement d’urgence, au regard de la situation des enfants et familles sans-abri, au sein d’une problématique plus globale des personnes sans-abri, qu’elles soient isolées ou en famille. De plus, elle reste préoccupée par les conditions concrètes d’hébergement dans lesquelles sont accueillis les enfants et familles qui peuvent être hébergés (voir à cet égard le rapport récent de l’UNICEF France et du Samu Social de Paris sur la santé mentale des enfants sans domicile, ainsi que le rapport « Enfants et familles sans logement » – ENFAMS – de l’Observatoire du Samu Social de Paris).